Le legs, une piste à explorer pour les personnes sans descendance
Recherche médicale, enfance en difficulté, environnement, culture… Faire un legs est une façon de consacrer les économies de toute une vie à une noble cause.
Elle s’appelait Lucienne, « Lu » pour les intimes et « Lou » pour ses amies américaines. Dans la France de l’après-guerre, cette jeune professeure de gymnastique a besoin de… sous-vêtements compatibles avec sa pratique sportive. Comme elle ne trouve pas son bonheur, elle décide de les confectionner elle-même. En 1946, au cours d’un voyage dans l’Orient-Express, elle loue les qualités de ses dessous faits maison à ses amies. Un jeune chef d’entreprise surprend leur conversation et propose de les commercialiser. C’est ainsi qu’est née la marque de lingerie Lou, qui restera longtemps l’un des fleurons de l’industrie textile dans l’Hexagone. Bien sûr, l’homme d’affaires épousera Lucienne. Des années plus tard, sans descendance, ils décideront de léguer l’intégralité de leurs biens à la Fondation de France, charge à elle d’en reverser une partie à l’ensemble de leurs anciens salariés.
A l’image des fondateurs de Lou, de nombreuses personnes décident chaque année de léguer tout ou partie de leurs biens à des fondations ou à d’autres oeuvres caritatives. Les legs représenteraient en moyenne un milliard d’euros par an. « A la Fondation de France, nous ouvrons environ 120 dossiers de legs chaque année, pour un montant total de 50 à 60 millions d’euros », explique, par exemple, Frédéric Théret, son directeur du développement.
Le profil des généreux philanthropes est connu : il s’agit le plus souvent de personnes sans descendance ou en rupture avec leur famille. « En l’absence de testament, la loi détermine qui hérite, selon un ordre très précis : les descendants et le conjoint d’abord, puis les père et mère et les frères et soeurs, et ainsi de suite jusqu’au 6e degré (cousins issus de germain par exemple) », précise Me JeanPierre Prohaszka, notaire à Villeurbanne. Et, si aucun héritier n’est retrouvé, c’est alors… l’Etat qui rafle la mise ! Or les personnes sans descendance n’ont pas nécessairement envie de tout laisser à un lointain petit-cousin, pas plus qu’à l’Etat.
Avec le legs, les économies de toute une vie vont financer une noble cause : la recherche médicale, l’enfance en difficulté, l’environnement, le bien-être animal… Le légateur peut se contenter de désigner l’organisme caritatif de son choix ou, parmi toutes ses activités, préciser celle qu’il souhaite financer (comme l’une des 133 unités de recherche de l’Institut Pasteur). Et, quand le legs est d’un montant important, généralement plus de 200 000 euros, le philanthrope peut même avoir sa propre fondation. Le fils de Jean Giraudoux – l’auteur de théâtre –, a ainsi légué ses biens et droits d’auteur à la Fondation de France, pour qu’elle gère la fondation de son père, dédiée à son oeuvre et, plus généralement, à la promotion de la littérature.
Mais, pour en arriver là, encore faut-il avoir rédigé un testament. C’est le passage obligé. « Sans cela, c’est l’ordre de succession prévu par la loi qui s’applique. Les fondations et autres associations n’ont alors strictement droit à rien », confirme Me Prohaszka. Pour qu’elles reçoivent quelque chose, il faut donc les « coucher » sur un testament. Mais attention à ne pas porter atteinte à la part des héritiers réservataires, qui sont les enfants du défunt ou, à défaut, son conjoint. « Celui qui rédige un testament peut donner tout ce qu’il veut, à qui il veut – et donc à une oeuvre caritative –, sauf la part des réservataires, qui doit leur être obligatoirement versée », explique le notaire. C’est la seule limite. Mais, en l’absence d’héritiers réservataires, tout est possible, et la succession peut intégralement tomber dans l’escarcelle d’une fondation. « Le philanthrope peut changer d’avis et modifier son testament à tout moment, à la seule condition d’avoir toute sa tête », rassure Me Prohaszka.
Reste l’aspect fiscal de l’opération, qui est particulièrement favorable à l’organisme bénéficiaire du legs. Les fondations et associations, à condition d’être reconnues d’utilité publique, reçoivent les legs en totale exonération de droits de succession – à la différence d’un neveu qui serait taxé à 55 % par exemple. Pour 100 euros légués, ce sont 100 euros versés à la cause choisie par le défunt. Une belle manière, pour le philanthrope, de continuer à faire oeuvre utile.