Jeux olympiques : comment la pandémie a chamboulé l’équation financière
Paris 2024 doit revoir ses plans, bouleversés par le Covid-19. S’il continue à engranger des signatures de sponsors, le comité d’organisation cherche à reserrer son budget.
Même s’il commence à être rodé à l’exercice, le président du comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop), Tony Estanguet, n’en reste pas moins un athlète qui préfère de loin les remous des eaux vives aux soubresauts de l’arène politique. Dès lors, quand il a dû exposer fin septembre une refonte du projet olympique de Paris 2024 devant tout son conseil d’administration, composé notamment des élus de la capitale, des départements franciliens et de la région Ile-deFrance, le triple médaillé olympique ne pouvait cacher une légère appréhension. « Cette pandémie nous a obligés à réagir. Il nous a fallu revoir notre copie. Quelque part, ça nous teste », reconnaît le champion de canoë qui, paradoxe du sportif, retrouve vite dans l’adversité un cadre familier.
Dès le mois de mai, avant la fin du confinement, Tony Estanguet avait pris la plume, afin de prévenir les principales parties prenantes du dossier de l’importance de faire bouger les lignes. Notamment budgétaires. Un virage délicat, car, si Paris 2024 a toujours vanté sa sobriété environnementale et financière, il n’est jamais aisé de revoir les plans de la maison Olympe. Alors, par petites touches, Tony Estanguet a distillé les indices et pris la température. Il a prévenu des collectivités que certains sports allaient devoir déménager et relancé des partenaires potentiels qui se faisaient désirer. Si le président est en première ligne, ce sont des semaines de travail dans l’ombre qui ont débouché sur cette révision du budget. Avec, à la clef, une économie de 400 millions d’euros, soit 10 % du budget du Cojop (3,8 milliards d’euros), tout de même.
« Nous avons regardé partout comment optimiser, mutualiser, tout en gardant de l’ambition. Et le premier poste où l’on peut faire des économies, ce sont les infrastructures », résume Tony Estanguet. « Les infrastructures éphémères représentent un budget 600 millions d’euros de travaux provisoires. C’est en effet là que le comité peut trouver des marges de manoeuvre », confirme un cadre de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), qui estime en passant que le retard accumulé pendant le confinement pour la construction du village des athlètes à Saint-Denis (93) n’excède pas « une dizaine de jours ». Il n’empêche, selon nos informations, un tiers de l’enveloppe dédiée aux aléas de construction (dotée de 90 millions d’euros) a déjà été consommé. « Mais il n’y a pas de dérives financières, nous restons dans la maquette de départ de 3,2 milliards d’euros », rétorque la Solideo, deuxième pilier olympique, chargée des constructions financées par les pouvoirs publics.
Pour alléger la facture, donc, le Cojop vient d’acter la suppression de deux structures temporaires. D’abord, le bassin de natation sportive, ses vestiaires et ses tribunes. Il ne verra pas le jour à Saint-Denis. A la place, les organisateurs veulent installer une piscine démontable dans l’enceinte de Paris la Défense Arena, à Nanterre, une salle couverte en forme de U qui accueille à l’année l’équipe de rugby du Racing 92 – les études de faisabilité technique en cours ne soulèvent pas d’inquiétude. Exit aussi la salle de volley-ball qui devait être
installée au Bourget (93) ; les volleyeurs pourraient prendre la direction de la capitale. Mais rien n’est encore figé. Un sport chassant l’autre, la carte finale des sites ne sera connue qu’en décembre, lors du prochain conseil d’administration. Néanmoins, l’économie escomptée pour ces deux abandons se chiffre à 140 millions d’euros. Pas question en revanche de toucher au centre aquatique olympique (plongeon, water-polo, natation synchronisée), à Saint-Denis, l’un des rares équipements à devoir être construits pour 2024 (budget : 170 millions d’euros).
Mais, face à tous ces transferts d’équipement, le président (PS) de la Seine-SaintDenis, Stéphane Troussel, a vite eu peur d’être dépouillé. « Moi, plus que d’autres, je veux réussir les trente jours de compétition, mais surtout les trente ans d’héritage. Il faut donc compenser ces épreuves par au moins deux autres », plaide l’élu. Aux dernières nouvelles, son souhait va être exaucé, car le rugby à 7 prendrait la direction du Stade de France au lieu de celle du stade Jean-Bouin (Paris), et le mur d’escalade quitterait la Concorde pour Le Bourget. Cerise sur le gâteau, la SeineSaint-Denis pourrait hériter du skatepark et d’éléments de sports urbains prévus à la Concorde. « La Seine-Saint-Denis va rester au coeur des Jeux parce que l’on va garder plus de 80 % des fonds publics investis sur ce territoire », rappelle Tony Estanguet.
Pour alléger ses coûts, l’organisation va aussi proposer une révision drastique d’un poste méconnu du grand public : les services aux Jeux. Il s’agit des diverses activités de transport, restauration et hôtellerie dédiées à la famille olympique (athlètes, fédérations, médias…). Un budget de plus de 500 millions d’euros. Le Cojop veut mutualiser les transferts, regrouper les personnes pour réduire les frais de plusieurs dizaines de millions d’euros. « Pensez que, sur une organisation de ce type, il faut 1 200 bus pour transporter tout le monde en quinze jours. A titre indicatif, la RATP a 4 000 bus à Paris », explique un responsable olympique.
Reste une partie essentielle à régler : la recherche de partenariats. La promesse initiale de Paris 2024 était justement de faire financer 97 % de l’organisation par des fonds privés. Avec l’objectif de lever 1,1 milliard d’euros de sponsors, la direction commerciale a choisi de n’ouvrir d’abord que les « tickets » de rang 1, les plus chers, à plus de 120 millions d’euros. Et le premier à avoir signé a été le groupe bancaire BPCE, dès 2018. « Nous voulons être le réseau de référence pour l’économie du sport, et Paris 2024 va être le catalyseur de notre stratégie. Mais, au vu du montant de ce type de contrats, ça n’a de sens d’y aller que si l’entreprise a quelque chose à apporter à l’organisateur », explique Jean-Yves Forel, directeur général du programme olympique de BPCE. Pour la banque, il s’agira de fournir des solutions d’open payment, de gérer la billetterie et d’aider au financement des infrastructures. Pour EDF, deuxième partenaire premium, ce sera de l’électricité verte sur tous les sites, à l’image de ce qui avait été fait sur le parc olympique de Londres, en 2012. Pour Orange, dernier groupe premium à avoir signé, le contrat (300 pages !) comportera la couverture réseau de l’ensemble des sites. « Un énorme investissement humain et technologique, puisque l’on va déployer 400 000 kilomètres de fibre. Nous assurerons la captation des images, le chronométrage et toute la connectivité », détaille le PDG Stéphane Richard, qui, le même jour, s’est offert la 5G et les JO. Sacré chéquier !
D’ici à la fin de l’année, deux nouveaux partenaires de rang 2 (budget autour de 80 millions d’euros) seront annoncés par le comité, qui franchira alors la barre des 500 millions d’euros d’engagement. « Nous avons fait la moitié du chemin, même si nous avons eu très peur au démarrage de la crise », reconnaît un membre de l’organisation. A ce jour, le seul à avoir officiellement renoncé est Total, qui avait pourtant topé avec le Cojop. Mais là, rien à voir avec la crise. C’est Anne Hidalgo qui a mis son veto : pas question pour la maire de Paris de voir ses JO « verts » sponsorisés par une entreprise pétrolière, fût-elle venue avec un bouquet d’énergies renouvelables à la main. Depuis cet épisode, les éventuels partenaires avancent à pas feutrés. Quand ce n’est pas la crise économique qui freine les prospects. Dernier exemple en date, FDJ, qui devait lancer son partenariat en juillet et qui, en plein confinement, a changé son fusil d’épaule. Pas de jeux à gratter aux couleurs olympiques cette année, tout s’activera en 2021. « Avec ce décalage, FDJ a gardé 18 millions d’euros dans ses caisses », indique une source proche du dossier.
Pour autant, le Cojop, qui a ouvert plus de 400 catégories différentes de partenariat, est toujours à la tâche. Un travail de fourmis pour l’équipe de Marlène Masure, la nouvelle directrice commerciale. « Nous étudions des dossiers sur l’ingénierie ou la cybersécurité, des secteurs où il est urgent d’accélérer. A côté, nous sommes aussi en train de sourcer des entreprises pour les produits dérivés. C’est un marché à 2 milliards d’euros et plus de 10 000 références », explique cette ancienne vice-présidente de Disney France. Son arrivée en avril 2019 coïncide d’ailleurs avec un nouvel élan, car, de l’avis de plusieurs professionnels, Paris 2024 a plutôt raté son départ.
« Lors des premiers rendez-vous, ils sont arrivés avec une arrogance folle en nous disant “Signez ici !” », se souvient un haut cadre d’une entreprise française. « On travaille avec des fédérations qui sont parfois deux fois plus structurées qu’eux. Dans ce milieu, ça fait bizarre, mais ils sont en train de corriger le tir », tacle un autre dirigeant tricolore. Paris 2024 parviendra-t-il à récupérer les points perdus ? « Je n’ai pas vraiment de doute, ils feront le budget, rassure Bruno Bianzina, directeur général de l’agence Sport Market. Mais on était beaucoup à penser que les JO allaient booster le business. Or ce n’est pas encore le cas. On se demande vraiment quand tout cela va ruisseler. » Patience, les Jeux ne sont pas encore faits. Les premiers marchés, notamment pour tout ce qui concerne les produits dérivés (pin’s, médailles, tee-shirts, goodies…) sont même en train d’être bouclés.