Etats-Unis John Bolton : « J’envisage sérieusement de voter pour Ronald Reagan ! »
L’ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump estime qu’un second mandat de son ancien patron serait dévastateur pour son pays et pour le monde.
John Bolton a passé quatre cent cinquante-trois jours à la Maison-Blanche avant d’être remercié avec fracas en septembre 2019. Son récit La pièce où ça s’est passé*, dont le titre fait référence au bureau Ovale et qui montre un Donald Trump dans l’improvisation permanente, paraît cette semaine en France. L’homme à la moustache blanche, que L’Express a interviewé par vidéo, s’est juré de ne pas voter pour l’actuel président. Selon lui, le danger est réel : si le milliardaire est réélu, plus rien ne l’arrêtera.
Pour qui allez vous voter le 3 novembre ? John Bolton Pas pour Donald Trump en tout cas, car l’expérience m’a appris qu’il n’était pas qualifié pour cette fonction.
Cependant, je ne voterai pas pour Biden non plus, car cela enfreindrait mes principes. Heureusement, la loi du Maryland [NDLR : près de Washington], où je réside, permet d’écrire n’importe quel nom sur son bulletin de vote. Je n’ai pas encore décidé, mais j’envisage sérieusement de voter pour Ronald Reagan !
Comment la contamination de Donald Trump bouleverse-t-elle la campagne ? L’impact sera majeur, mais il est encore tôt pour dire comment il va se manifester. La gestion de l’épidémie était déjà un sujet hautement politique, elle va le devenir encore davantage. Tout dépendra de la rapidité avec laquelle le président récupérera physiquement.
Le premier débat Trump-Biden était-il « le pire de l’histoire », comme disent certains ?
Oui. C’était une parodie. Donald Trump voulait démontrer qu’il possède une forte personnalité, ce dont, à ma connaissance, personne ne doute. Il espérait écraser Joe Biden pour que celui-ci paraisse faible. Mais Biden a été meilleur que prévu. Il n’a pas répondu aux provocations. Il avait l’air présidentiel. Donald Trump, lui, a manqué une occasion d’expliquer ce qu’il ferait d’un éventuel second mandat. C’est fâcheux, car, depuis 1960, le premier des trois débats télévisés est toujours le plus important.
Donald Trump menace-t-il la démocratie américaine ?
Les dégâts qu’il a commis jusqu’à présent aux Etats-Unis et à l’international sont encore réparables. Mais s’il reste à la MaisonBlanche pour un second mandat sans avoir à se soucier de sa réélection, plus rien ne le retiendra. Alors, oui, c’est une menace. Ses récents commentaires sur la fraude et l’illégitimité du scrutin en cas de défaite sortent déjà du cadre démocratique…
A quoi pourrait ressembler un second mandat ?
Une fois libéré de la contrainte électoraliste, le président pourrait opérer un virage à 180 degrés sur de nombreux sujets, par exemple la Chine. Il suffirait pour cela que Xi Jinping l’appelle, le félicite pour sa réélection et lui propose de revenir à la table des négociations. Pendant trois ans, l’objectif de Trump était de réussir le deal commercial du siècle avec l’empire du Milieu. Ce n’est qu’à partir de la crise du coronavirus qu’il a attaqué Pékin, pour des raisons de politique intérieure. Une nouvelle volte-face est parfaitement envisageable. Par ailleurs, il pourrait prendre la décision qu’il a failli adopter en juin 2018 : quitter l’Otan. Ce n’est pas certain, mais c’est possible. Sur la scène intérieure, il pourrait promouvoir sa fille Ivanka et son gendre Jared Kushner. Le secrétaire d’Etat [NDLR : équivalent du ministre des Affaires étrangères], Mike Pompeo, m’a dit un jour : “Si Trump est réélu, son second mandat sera le Donald-Ivanka-Jared show !”
Comme résumer vos quatre cent cinquante-trois jours auprès de Trump ? C’était comme vivre dans un flipper. Il n’y avait aucun cadre cohérent, aucune procédure sérieuse. Chaque journée était entièrement imprévisible. Le président arrive au travail, hume l’air du temps, et se demande : « Alors, que va-t-il se passer aujourd’hui ? » Il improvise, n’écoute que son instinct. Les équipes de la MaisonBlanche, elles, produisent quotidiennement des analyses sérieuses, notamment sur les questions de sécurité nationale. Trump n’en lit aucune.
Le président affirme qu’il a calmé les ardeurs de Kim Jong-un.
C’est complètement faux. Lors de ses trois rencontres avec le leader coréen, il n’a rien obtenu ni accompli. La Corée du Nord poursuit son programme nucléaire et de lancement de missiles balistiques. Celui-ci n’a jamais cessé, même pendant les sommets Donald Trump-Kim Jong-un.
Supposons que Joe Biden soit élu et que vous soyez son conseiller à la sécurité nationale. Que lui conseilleriez-vous ? La priorité absolue, c’est la Chine. L’administration Obama a eu une attitude beaucoup trop tolérante vis-à-vis de Pékin, qui représente un danger à plusieurs niveaux. Economiquement, les Chinois pratiquent le vol de propriété intellectuelle et le transfert de technologie contraint. Sur le plan militaire, ils sont menaçants partout : en mer de Chine orientale et méridionale, dans l’Himalaya (à la frontière indienne), à Taïwan, à Hongkong. Dans le domaine des droits de l’homme, ils persécutent les Ouïgours. Enfin, dans les télécoms, il faut comprendre que Huawei et ZTE ne sont pas des entreprises privées, mais le bras armé de l’Etat chinois qui se prépare à la cyberguerre.
Quelle est l’importance des accords signés par Israël avec les Emirats arabes unis et Bahreïn sous l’égide de Trump ? Ils reflètent une évolution géopolitique. Du fait de leur inquiétude croissante visà-vis de l’Iran – et de la Turquie –, mais aussi devant la perspective d’un retrait américain du Moyen-Orient, les Etats du Golfe comprennent qu’ils ont des intérêts convergents avec Israël. Or le mariage de l’argent du pétrole du Golfe avec la science et la technologie militaire israéliennes représente une opportunité pour toutes les parties. Cette tendance va se poursuivre : d’autres Etats arabes reconnaîtront l’Etat hébreu à l’avenir. Les Palestiniens ont commis une erreur énorme en n’ayant pas anticipé cela.
Revenons à l’élection : quel est votre pronostic ?
Tout le monde est traumatisé par 2016 et la défaite d’Hillary Clinton. Résultat, personne ne fait de prédiction. Il reste quatre semaines avant le scrutin et, dans les sondages, Biden mène depuis longtemps. Trump dispose de peu de temps pour inverser la tendance. Son état de santé ne lui facilite pas la tâche. Mais je préfère rester prudent : je parierais 1 dollar sur la victoire de Biden. Mais 1 dollar seulement. * La pièce où ça s’est passé, par John Bolton. Talent éditions, 560 p., 23,90 €.