Depuis 1989, ni oubli, ni pardon
Face à la conjuration des aveugles volontaires, il est temps d’être fiers d’être les enfants terribles des Lumières.
e ne sais pas vous, mais moi, non seulement je n’ai pas oublié, mais je n’ai jamais pardonné. Depuis 1989. Je ne pardonne pas la lâche inertie de Lionel Jospin, qui refusa alors de légiférer sur le voile islamique à l’école, comme je ne pardonne pas aux intellectuels de gauche de n’avoir pas – déjà – unanimement et sans réserve apporté leur soutien à Salman Rushdie, cible d’une fatwa signée par l’ayatollah Khomeyni, au prétexte d’un délirant respect dû à la religion des nouveaux opprimés par défaut ; mais je ne pardonne pas davantage aux politiques de droite, Jacques Chirac en tête, de s’être pareillement bouché le nez devant le blasphème par crainte de heurter leur frange chrétienne et conservatrice.
Je ne sais pas vous, mais moi, je refuse dorénavant les chartes de la laïcité, manifestations, minutes de silence, roses en pagaille, bougies aux fenêtres qui n’éclairent rien d’autre que le déni – si ce n’est la pure compromission – dont se sont rendus coupables trop de politiques incultes et d’élus cyniques, d’universitaires activistes et de chercheurs charlatans, de journalistes propagandistes et de blogueurs pyromanes, de people en manque de likes et d’artistes shootés à la bonne parole humaniste guimauve, de gauchistes en panne idéologique et d’extrêmedroitistes en regain de racisme. Je ne sais pas vous, mais moi, je suis atterrée par la paralysie générale et l’incapacité collective à contre-attaquer. Depuis le mois
Jde septembre, l’ancien inspecteur général de l’Education nationale Jean-Pierre Obin, de gauche républicaine – auteur en 2004 du dorénavant fameux « rapport Obin », fameux pour avoir été enterré par la droite, la gauche, la conjuration des aveugles volontaires –, écume les médias pour diriger la lumière sur la plaie purulente de l’islamisation rampante dans l’école de la République, et en offrir, avec précision et intelligence, une grille de lecture équilibrée – et néanmoins terrifiante. Dans le même temps paraît un sondage commandé par la Fondation Jean-Jaurès et Charlie Hebdo, où nous découvrons que 29 % de l’ensemble des musulmans et 45 % de ceux de moins de 25 ans considèrent que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs de la République.
Revenir dans le giron républicain
Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve qu’il y a péril en la demeure. Et voilà que débute le procès historique et filmé des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, Clarissa Jean-Philippe, l’Hyper Casher. Pourquoi ne pas organiser fissa, pour tous les collégiens et lycéens de France, sans exception, sans dérogation, une projection quotidienne du procès – qui, aberration, ne sera accessible au public que dans cinquante ans ? Ainsi confrontés à la mécanique judiciaire, et, les yeux grands ouverts, à la réalité – celle de la mort violente, de l’antisémitisme meurtrier, de l’islamisme, qui est un totalitarisme –, ils pourraient, dans le cadre de rencontres et de débats, exercer leur esprit critique, pratiquer l’échange d’idées, jouer le jeu démocratique. Voilà exactement ce dont une jeunesse de plus en plus intolérante et de plus en plus sensible aux thèses faussement humanistes mais assurément séparatistes a besoin pour revenir dans le giron républicain.
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai honte devant le regard chargé de tristesse et d’incompréhension que mes parents, exilés iraniens, portent au spectacle pathétique d’une gauche qui, s’étant déjà fait avoir – et salement – par les islamistes iraniens, se refait avoir par les mêmes versions 2.0. Si l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie fortement.
La patrie d’Hugo assassinée
J’ai honte devant mes parents qui ont sacrifié leur confort bourgeois, leur jeunesse, leurs ambitions, pour offrir à leurs enfants la liberté de montrer leur cul aux curés de toutes les paroisses dans le pays où le rire n’est pas un péché. « Tant qu’à être dans la merde, autant l’être au pays de Victor Hugo », répétait souvent mon père. Il ne le dit plus qu’avec une pointe d’ironie.
C’est la patrie d’Hugo qu’assassinent les islamistes. C’est mon pays qu’abîment et ensanglantent les barbus et les corbeaux de mon enfance, qui sont toujours là, qui me collent aux basques, qui ricanent dans le dos de notre rance tolérance, symptôme honteux de notre fatigue devant le poids de la liberté.
« La liberté signifie la responsabilité. C’est pourquoi la plupart des hommes la craignent », écrivait George Bernard Shaw.
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai la ferme intention de prendre mes responsabilités et de ne pas laisser mon pays et mon refuge devenir le terrain de jeu meurtrier d’islamistes décérébrés.
Je ne sais pas vous, mais moi, je crois qu’il est temps d’être fiers, sans l’ombre d’un doute, d’être les enfants terribles des Lumières.
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste.
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