2020 vue de Marseille, par Jean-Laurent Cassely
Renouvellement politique, crise sanitaire, gentrification, mal-logement... L’actualité au miroir de la cité phocéenne.
De janvier à mai : la première vague La France fait connaissance avec le Pr Raoult
« Professeur, doit-on craindre une épidémie de Covid-19 en France ? » Publiées sur le compte YouTube de l’IHU Méditerranée Infection, les courtes interviews d’un infectiologue aux allures de druide analysant des graphiques et des courbes, un tableau de street art kitsch en arrière-plan, deviennent virales. La France, le monde découvrent la star montante du coronavirus, Didier Raoult. L’engouement pour l’homme en blouse blanche qui parle vrai et semble maîtriser la situation anxiogène fait dans un premier temps la fierté de Marseille. Personne ne se doute encore que, bientôt, la controverse de l’hydroxychloroquine s’invitera dans toutes les discussions.
De mai à juin : l’élection municipale Le Printemps marseillais, prototype de la gauche d’après
Elaborée dans le giron du collectif Mad Mars, créé deux ans plus tôt, l’alliance de membres de partis de gauche, d’écologistes et de représentants de la société civile et sa candidate, Michèle Rubirola, peu aguerrie mais authentique, font basculer la ville à gauche, enterrant vingt-cinq ans de règne de Jean-Claude Gaudin. C’est le révélateur des mutations démographiques : un nouveau peuple de gauche composé d’acteurs du monde culturel, du secteur public et de membres de la bourgeoisie mobile installée à Marseille a choisi l’alternance et marginalisé une droite de notables clientéliste et dépassée. Alors que Bordeaux, Lyon ou Grenoble ont vu des attelages similaires l’emporter aux municipales, l’ovni politique phocéen est présenté comme le prototype d’une opération possiblement duplicable au niveau national en 2022…
Juillet-août : un été marseillais Jul et sa Bande organisée explosent les compteurs de YouTube
Emmenés par l’incontournable Jul, devenu en quelques années le chef de file de la culture populaire phocéenne, plusieurs rappeurs marseillais sont réunis dans un clip, Bande organisée, tourné au Stade-Vélodrome et au pied de Notre-Dame-de-la-Garde.
« Nique ta mère sur la Canebière / Nique tes morts sur le Vieux-Port », entonnent-ils. Les jeunes des quartiers s’identifient, les bobos s’encanaillent et écoutent aussi. Selon le classement que dévoile Spotify chaque année en décembre, Bande organisée est tout simplement le morceau le plus écouté en France en 2020. Jouant sur l’iconographie du foot, les codes du gangsta rap et le folklore populaire marseillais, le clip fait un buzz monumental, dépassant les 200 millions de vues sur YouTube.
Septembre-octobre : la ville passe au rouge Covid, gentrification… les « Parisiens », coupables parfaits ?
Le Marseillais Hadrien Bels publie un premier roman remarqué, Cinq dans tes yeux (L’Iconoclaste). Il y aborde la gentrification de certains quartiers. Faut-il se réjouir des boulangeries qui proposent du pain au petit épeautre ou au sarrasin, ou se méfier de ces « venants », comme les surnomme l’auteur. Ces « Parisiens » qui viennent profiter d’un marché immobilier 4 fois plus abordable que celui de la capitale ? Le sujet des nouvelles migrations est d’autant plus sensible qu’au sortir de l’été le taux d’incidence des tests positifs au Covid a explosé, rapidement attribué aux vacanciers qui se sont massés dans les bus de la Corniche desservant les plages. En réalité, c’est un mélange de laisser-aller local, notamment de soirées clandestines, et de surfréquentation touristique qui expliquerait que Marseille soit passée au rouge.
Le 5 novembre : les deux ans de la rue d’Aubagne L’hypercentre à la croisée des chemins
Cela fait deux ans que huit personnes ont péri dans l’effondrement d’immeubles de la rue d’Aubagne. Les commémorations sont l’occasion de reposer la question du mal-logement et révèlent l’absence de projet clair pour l’hypercentre. On répète que Marseille est la dernière métropole de France à conserver un centre-ville populaire. Celui-ci bascule en réalité dans l’extrême pauvreté et la marginalité. Faut-il ne toucher à rien et s’en contenter, comme semblent le vouloir les partisans de la gentrification zéro ? Faut-il rénover, au risque de voir encore plus de « Parisiens » débarquer ?
Le 15 décembre : « Rubirola est plus là » La maire de Marseille nous « abandonne » à notre sort
L’édition locale de La Provence a revêtu le bandeau noir des grandes catastrophes et a titré : « L’abandon ». Pour raisons de santé et par manque de goût pour les charges du pouvoir, la maire a donné raison aux rumeurs qui annonçaient sa démission.
Les mauvaises langues et les opposants, détournant son slogan de campagne, s’écrient : « Rubirola est plus là » !
Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste, spécialiste de la nouvelle société de consommation.