Cette France industrielle qui ne demande qu’à repartir
En Franche-Comté, où les usines sont légion, L’Express est allé voir comment le plan de relance se décline.
C’est un confetti de 110 hectares lové au coeur de Belfort, presque écrasé par l’ombre sombre de la citadelle. Dans le dédale des allées, on y découvre un bricàbrac architectural fait de bâtiments industriels blafards des années 1970, d’immeubles modernes tout juste sortis de terre et d’anciennes filatures en brique rouge rénovées aux allures de pouponnières à startup. L’endroit a été baptisé « Techn’hom », un nom suffisant vague pour qu’il n’évoque pas grandchose. Comme s’il fallait effacer le passé. Pourtant, si ces murs pouvaient parler, ils nous raconteraient tout un pan de l’histoire de France. L’arrivée dans la cité d’industriels alsaciens après la guerre de 1870 et l’annexion de l’AlsaceLorraine par l’Allemagne ; la création de la SACM, l’ancêtre d’Alstom ; les jours fastes des décennies 19701980 avec l’aventure du nucléaire, celle du TGV et des grandes ambitions de Bull dans l’informatique. Puis les années de plomb, les fermetures d’usines, les promesses non tenues et les charrettes sociales, jusqu’aux dernières qui couvent encore chez General Electric. Si ces murs pouvaient parler, ils nous raconteraient aussi l’espoir qui renaît.
Dans un modeste local situé au fond d’un immeuble du CNRS, Sébastien Faivre fait partie des optimistes. Cet exingénieur d’Alstom a créé en 2017, avec une poignée de chercheurs, H2SYS, une startup spécialisée dans la conception de groupes électrogènes à hydrogène. Une technologie innovante totalement verte qui cartonne. La récession, les carnets de commandes qui se déplument, le jeune homme est passé au travers. Au contraire, le chiffre d’affaires de la pépite devrait quasiment tripler en 2020. Alors, il prépare déjà, demain, la mue de sa startup adolescente en PME conquérante. Des locaux plus vastes, de nouvelles machines, une dizaine d’embauches d’ici à la fin de 2021. « C’est un investissement de 1,3 million d’euros, financé à hauteur de 800 000 euros par de l’argent public. Tout va très vite », souffletil. Sur le parking du bâtiment, dans un énorme conteneur, l’un de ses groupes électrogènes va partir pour Papeete, à Tahiti, équiper un bâtiment universitaire. Avec ses projets, Sébastien Faivre est un maillon du renouveau industriel qui est en train de s’écrire dans ce coin de France. Pas seulement au « Techn’hom » mais dans tout le nord de cette FrancheComté industrieuse.
Le triangle formé par Belfort, MontbéliardSochaux et Besançon abrite le territoire le plus industrialisé du pays. Près d’un tiers des emplois dépendent de l’industrie, quasiment le triple de la moyenne nationale. Ici, on naît, on grandit, on meurt avec PSA, GE, Alstom. Ou avec ces grands soustraitants automobiles comme Faurecia et LiSi ; des géants méconnus comme Delfingen dans les réseaux électriques embarqués, ou Gaussin dans la construction de matériels roulants. Des centaines de PME souvent familiales vivent au rythme des respirations des grands donneurs d’ordre. En deux décennies, des milliers de jobs ont disparu. Alors forcément, la réindustrialisation, ça parle aux tripes.
Même les élus donnent de la voix. Pour s’en convaincre, il suffit de passer un moment avec MarieGuite Dufay, la bouillonnante présidente de la région
BourgogneFrancheComté : « Parallèlement au plan de relance de l’Etat, on a lancé notre propre plan d’accélération de l’investissement : 435 millions d’euros, soit quasiment un tiers de notre budget annuel. » La ministre de l’Industrie, Agnès PannierRunacher, le reconnaît volontiers : « C’est la région qui s’est saisie le plus vite de tous les dispositifs montés en urgence par l’Etat. » Il faut dire que l’exécutif a ouvert tous les robinets, au risque de s’y perdre dans les différents programmes.
Fonds d’avenir pour les filières automobile et aéronautique, fonds « résilience » pour la relocalisation de production essentielle, programme territoires d’industrie destinés à la modernisation et à la création d’usines 4.0 : au total, sur l’ensemble de l’Hexagone, près de 3 900 entreprises ont toqué à la porte de l’Etat depuis septembre, 599 dossiers ont été retenus pour un montant moyen d’aides de 655 000 euros, d’après les chiffres exclusifs recueillis par L’Express. Dans 86 % des cas, il s’agit de PME ou d’ETI (entreprises de taille intermédiaire). Plusieurs dizaines dans ce terreau franccomtois ont bénéficié des largesses publiques. Tous les quinze jours, le préfet du Territoire de Belfort, JeanMarie Girier, un proche d’Emmanuel Macron nommé en août dernier, réunit tout l’écosystème des financeurs, les représentants de Bpifrance, du Grand Belfort, de la région, de la CCI... Pendant des heures, la petite équipe planche sur chacun des dossiers, décide qui va donner et combien. « Sur le seul Territoire de Belfort, on a sélectionné une dizaine de projets pour un montant total de subventions de 10 millions d’euros », explique l’ancien directeur de campagne du candidat Macron.
Evidemment, la filière hydrogène fait l’objet de toutes les attentions. Relocaliser, ce n’est pas faire revivre le passé, c’est inventer l’avenir. La France a abandonné son industrie photovoltaïque. Impossible de laisser passer ce trainlà. L’écosystème est porteur avec des chercheurs de haut vol à l’université de technologie de BelfortMontbéliard, et les grands groupes qui y croient. A Belfort, Alstom, qui travaille sur les motrices des TGV du futur, peaufine aussi ses trains à hydrogène. « On en a déjà vendu en Allemagne, en Autriche et en Italie », détaille Romuald Gicquel, directeur du site. L’équipementier automobile Faurecia a installé à Bavans, non loin de l’usine PSA de Sochaux, son centre mondial de recherche et va construire la plus grande usine au monde de réservoirs à hydrogène à Allenjoie. Quant au groupe Gaussin, qui équipe déjà le port de Singapour d’énormes porteconteneurs roulants sans chauffeur, il s’apprête à proposer à ses clients – Amazon, UPS, Auchan ou Carrefour – une version hydrogène de tous ses véhicules. « Pour cela, nous allons doubler nos effectifs l’an prochain », soutient Christophe Gaussin, PDG du groupe.
Mais c’est la possible installation d’une gigafactory de McPhy, le leader des électrolyseurs – ces énormes machines produisant de l’hydrogène – qui fait saliver tout le monde. A la clef, près de 500 emplois. Pour tenter de remporter le morceau, Belfort, s’appuyant sur la société d’économie mixte Tandem, spécialisée dans la revitalisation de friches industrielles, propose même de fournir clefs en main cette usine du futur. Un projet de 30 à 40 millions d’euros. « On leur amène le terrain, l’ingénierie immobilière et on s’occupe de la construction du bâtiment. En fait, McPhy serait juste locataire », détaille PierreEtienne Perol, directeur de Tandem.
Chaque fois, l’argent public permet de faire la différence. « C’est un formidable accélérateur de projet », confesse Damien Marotte, patron du groupe familial du même nom, installé à Passenans. Aux alentours, pas de cheminées d’usine. Juste des collines douces tapissées des vignes dont on tire ce vin jaune qui fait chanter les gosiers. Cette PME fabrique depuis des décennies des coffrets en bois pour le secteur du luxe, des caisses de champagne pour les plus belles maisons, des boîtes à cigare. Pour sécuriser leurs approvisionnements et préserver leur image, les grandes marques se tournent vers le made in France. Alors, depuis la pandémie, les commandes de Marotte ont bondi de 15 à 20 %, et le chiffre d’affaires prévu pour 2021 pourrait augmenter de 30 %. « On avait un plan d’investissement de 4 millions pour construire une nouvelle usine entièrement robotisée. Les 800 000 euros reçus dans le cadre du programme Territoires d’industrie nous permettent de faire en deux ans ce que nous avions prévu de réaliser en cinq », confie
Damien Marotte.
La vitesse, encore, pour jouer la carte de la souveraineté. En bordure de l’autoroute A36, non loin de Montbéliard, Nicolas Burny surveille comme le lait sur le feu la construction de son usine de meltblown, cette matière issue du polypropylène et qui sert de filtre dans la fabrication des masques chirurgicaux ou FFP2. Avant la pandémie, la France n’avait pour ainsi dire aucune capacité de production. Ce fin connaisseur de l’industrie textile est parti de rien, a répondu à un appel à manifestation d’intérêt lancé par l’Etat au mois de juin. Réponse en juillet. L’investissement de 4 millions d’euros est financé à hauteur de 60% par de l’argent public. Dès le mois d’avril 2021, son usine sera en mesure de sortir entre 4 et 5 millions de tonnes de meltblown par an, de quoi produire 500 millions de masques.
Ironie du sort, certaines de ces entreprises pourraient aussi bénéficier du fonds Maugis. Cette cagnotte de 50 millions d’euros est nourrie des pénalités payées par General Electric pour ne pas avoir tenu sa promesse de créer 1 000 emplois sur le site de Belfort après le rachat de la branche énergie d’Alstom en 2015. Le 1er décembre, les dossiers des premiers candidats ont été épluchés. Comme une revanche de l’Histoire.
WDans la région, la filière hydrogène fait l’objet de toutes les attentions