L'Express (France)

L’oeil de L’Express En 2020, ils ont fait la France

Les Français partagent une langue, une histoire, une géographie et des valeurs. Mais être français, c’est aussi une idée à défendre.

- PAR ÉRIC CHOL

L’identité de la France, « c’est un problème qui se pose à tous les Français », disait l’historien Fernand Braudel. Car s’il existe bien 67 millions de façons d’être français, il n’y a qu’une France. Plurielle : comment faire autrement dans le pays aux 365 fromages, où l’on compte autant d’opinions que de sujets de division, où l’on s’engueule sur Colbert ou Voltaire, où l’on place la querelle et la castagne au-dessus du dialogue et de la concorde ? Mais la France est aussi cette nation où l’on se retrouve pour défendre le steak-frites et la sauce béarnaise, où l’on frissonne en écoutant La Marseillai­se aux Invalides, où l’on applaudit les personnels soignants et les libraires, où l’on pleure de joie quand le cycliste Julian Alaphilipp­e remporte une étape et de tristesse quand Romain Bardet abandonne la Grande Boucle après une chute…

« Il y a moins de chance pour que deux Français pris au hasard se ressemblen­t que dans aucun autre tirage au sort parmi tout autre peuple du monde. Il en résulte une étrange unité qui paraît au-dehors assez mystérieus­e : la France fait des Français », assurait le philosophe Paul Valéry. En 2020, ces Françaises et ces Français s’appellent Gisèle, Mila, Samuel, Daniel et les autres. Comment ne pas songer d’abord à cet enseignant de Conflans-SainteHono­rine, assassiné et décapité par un soldat de l’obscuranti­sme? Tremblants et stupéfaits, les Français ont appris ce jour funeste d’octobre 2020 que Samuel Paty était mort pour avoir exercé son métier de professeur. Il est, explique Emmanuel Macron dans cet entretien exclusif accordé à L’Express (voir page 20), « le visage contempora­in de la République en actes ».

Daniel Cordier, lui, s’en est allé paisibleme­nt à l’âge de 100 ans. Ce résistant de la première heure, secrétaire de Jean Moulin, laisse un message fort aux jeunes génération­s : « Il faut donner sa vie pour ce que l’on croit. Il faut s’engager pour la liberté. » On n’oublie ni ses mots ni ses actes. Jean-Jacques Razafindra­nazy n’a, durant sa vie, jamais mégoté son engagement. Cet urgentiste d’origine malgache naturalisé français s’est immédiatem­ent porté volontaire pour soigner les malades du Covid. Il a été le premier médecin hospitalie­r à succomber au virus. Il aurait pu être l’un des personnage­s joués par Michel Piccoli, ce monument du cinéma français mort à 94 ans. Celui qui a été tour à tour notaire, banquier, flic, voyou ou architecte disait des acteurs : « Nous sommes des loueurs de miroirs que nous offrons au public afin que ce dernier se contemple. » S’y reflète cette mosaïque française mise en image par Claude Sautet.

Etre français, c’est aussi partager le fameux esprit français. Celui défendu brillammen­t par Richard Malka, lors du procès des attentats de janvier 2015. « Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricature­s de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à L’Encyclopéd­ie,

aux grandes lois de la République », plaidait l’avocat de Charlie Hebdo.

Richard Malka a raison. Ne renonçons à rien, ou nous renonceron­s à être français. Au passage, saluons le courage du recteur de la grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz. Car celui qui avait naguère entamé une procédure contre le journal satirique s’engage aujourd’hui pour que « Charlie Hebdo continue d’écrire, de dessiner, d’user de son art et surtout de vivre ». Bravo à ce Français « d’adoption, d’adhésion et d’adhérence, car amoureux de la République » ! En 2020, Mila a vécu un calvaire : l’adolescent­e iséroise est menacée de mort et de viol pour avoir critiqué l’islam sur les réseaux sociaux. « Bunkerisée », elle a dû quitter son établissem­ent scolaire. Pourtant, avec ses mots et sa fougue, Mila incarne aussi cet esprit de liberté qui nous est propre.

Etre français en 2020, c’est encore poursuivre le combat de l’avocate féministe Gisèle Halimi. « Nous avons arraché une à une des réformes qui profitent à toute la société française […]. Mais il faut une relève à qui tendre le flambeau », nous alerte-t-elle dans Une farouche liberté (Grasset), un ouvrage écrit en collaborat­ion avec Annick Cojean et publié juste après sa mort, l’été dernier. Etre français en 2020, c’est célébrer les anniversai­res : Charles de Gaulle, Alexandre Dumas… A propos de l’auteur des Trois Mousquetai­res, Victor Hugo écrivait : « Alexandre Dumas est un de ces hommes qu’on peut appeler semeurs de civilisati­ons […], ce qu’il sème, c’est l’idée française. » Richard Malka, Daniel Cordier, Gisèle Halimi ou Mila incarnent aussi une certaine idée de leur pays. En 2020, ces Français ont fait la France.

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