Etats-Unis En Géorgie, un pasteur en campagne
Joe Biden mise sur le révérend Raphael Warnock pour remporter les sénatoriales partielles du 5 janvier dans l’Etat qui a vu naître CNN, Coca-Cola et… Martin Luther King.
Commed ans les années 1960, où elle joua un rôle déterminant dans la lutte pour les droits civiques, la Géorgie est redevenue, pour un temps, l’épicentre de la vie politique. Six décennies après Martin Luther King, un autre pasteur noir s’est, en effet, imposé dans les médias comme son lointain successeur dans cet Etat du Sud qui compte un tiers d’électeurs afro-américains. Candidat du Parti démocrate à la sénatoriale partielle cruciale du 5 janvier prochain, le révérend Raphael Warnock, 51 ans, a provisoirement délaissé l’église Ebenezer d’Atlanta, jadis codirigée par « MLK ». De même que ce dernier, Warnock « has a dream » (« a un rêve ») : battre son adversaire républicaine Kelly Loeffler, 50 ans, une richissime femme d’affaires « 100 % trumpiste », à la tête d’une société financière spécialisée dans les bitcoins.
L’enjeu est majeur. Si le pasteur l’emporte et que son collègue Jon Ossoff gagne également (une autre élection partielle a lieu dans l’Etat, le même jour), alors le parti du futur président, Joe Biden, comblera son retard au Sénat. En effet, les républicains contrôlent actuellement 52 sièges sur 100 à la chambre haute. Mais s’ils en perdent deux, le rapport de force sera de 50-50. Or, en cas d’égalité, Kamala Harris, la nouvelle vice-présidente, aura le dernier mot en vertu de son autre fonction prévue par la Constitution : présidente du Sénat. Si ce scénario se concrétise, les républicains ne pourront pas empêcher Joe Biden de mettre en oeuvre son programme. Ni de constituer son gouvernement, où chaque nomination doit être validée par le Sénat.
Dès lors, rien d’étonnant au fait que le gratin de la politique américaine se précipite depuis un mois en Géorgie. De Donald Trump à Joe Biden, en passant par Barack Obama, Mike Pence et Kamala Harris, c’est un défilé ininterrompu dans l’Etat historique de CNN et de Coca-Cola. Même l’ancienne candidate à la vice-présidence Sarah Palin s’est déplacée de l’Alaska afin de soutenir les candidats républicains, accompagnée de la députée locale complotiste
Marjorie Taylor Greene, adepte de la mouvance QAnon et fraîchement élue à la Chambre des représentants. « Qu’une élection locale ait un tel impact national et de telles conséquences pour l’avenir des EtatsUnis est inédit dans l’histoire de notre pays », témoigne le politologue Anthony Madonna, de l’université de Géorgie. En quelques semaines, chaque camp a déjà investi… plus de 200 millions de dollars dans la campagne !
Lors du premier tour, en novembre, aucun candidat n’a obtenu 50 % des voix. Selon la loi en vigueur dans ce fief républicain, un second tour doit être organisé. Mais si Joe Biden l’a emporté (de peu) le mois dernier, la tâche sera plus difficile le 5 janvier prochain : en Géorgie (10,5 millions d’habitants), aucun démocrate n’a jamais gagné le second tour d’une élection sénatoriale. Pourtant, le pasteur Raphael Warnock y croit. Avec son discours axé sur les aides financières pour lutter contre le Covid-19 et sur l’égalité raciale, celui qui fut l’un des visages du mouvement Black Lives Matter entend séduire la jeunesse et les minorités. Ces dernières sont déjà mobilisées par une autre figure démocrate locale : la militante afro-américaine Stacey Abrams, qui a réussi à enregistrer 800 000 nouveaux électeurs sur les listes électorales.
Cependant, la bataille est loin d’être gagnée. Soutenu par la gauche du parti démocrate (Bernie Sanders, Elizabeth Warren…), le pasteur est la cible des attaques du camp conservateur cherchant à le discréditer. Lors d’un débat télévisé, son adversaire Kelly Loeffler l’a qualifié à 13 reprises de « socialiste radical ». Les républicains ont aussi exhumé une vidéo de 2011 où l’on voit le révérend affirmer, lors d’un prêche vibrant : « En Amérique, on ne peut pas servir deux maîtres à la fois ; on ne peut pas servir Dieu et l’armée, Dieu et l’argent, Dieu et les riches ! »
En attendant, le meilleur atout des démocrates tient à la confusion créée par Donald Trump dans l’esprit de ses électeurs. En criant à la fraude électorale pour justifier sa défaite le mois dernier, le président sortant a peut-être démobilisé son camp. « La participation reste la grande inconnue, avance Anthony Madonna. Certains nouveaux électeurs qui, en novembre, ont voté pour la première fois de leur vie [en faveur de Donald Trump] estiment maintenant qu’on leur a volé la victoire. Il est possible que, découragés, ils ne prennent pas la peine de se déplacer une nouvelle fois. »