Inde Comment le pays se prépare à la plus vaste opération de vaccination du monde
Alors que le pays a dépassé les 10 millions de cas de coronavirus, il compte immuniser plus de 800 millions de personnes. Un défi logistique.
Quelque 300 millions de personnes à piquer d’ici à l’été prochain, 700 millions avant la fin de 2021. Au moment où l’autorité nationale du médicament s’apprête à donner son feu vert à deux premiers vaccins – ceux du britannique AstraZeneca et du laboratoire local Bharat Biotech –, l’Inde se met en ordre de bataille pour commencer dans les prochaines semaines une gigantesque opération de vaccination anti-Covid, qui pourrait être la plus spectaculaire de la planète.
Le défi logistique est sans précédent, même si le pays est déjà rompu aux opérations d’envergure, notamment l’organisation d’élections nationales. Dans l’usine du Serum Institute of India – plus grand fabricant mondial de vaccins, situé à Pune (dans l’Ouest) –, les flacons s’empilent à toute allure sur les étagères. La production d’AstraZeneca a démarré en septembre, sans attendre l’autorisation de mise sur le marché. Et grâce à cinq nouvelles chaînes construites en urgence, 100 millions de doses devraient bientôt être fabriquées chaque mois. S’y ajouteront celles que Bharat Biotech commence à produire, lui, à Hyderabad (dans le Sud).
Dans une note datant de novembre, le Crédit suisse estime suffisantes les capacités annuelles de production de doses du pays (environ 2,4 milliards), ainsi que de divers matériels, comme les seringues et les aiguilles. Mais les analystes de la banque ont identifié un « goulet d’étranglement » dans la chaîne du froid, concernant en particulier les camionnettes réfrigérées. Calculant, en conséquence, que le potentiel de vaccination ne dépassera pas de 550 à 600 millions de doses par an (sachant qu’il en faut deux par individu), ils en déduisent que la vaccination de 800 millions de personnes (les Indiens de plus de 14 ans non immunisés) ne sera pas achevée avant la fin de 2023.
Mais l’Inde se veut rassurante. « Le réseau actuel de points froids est bien réparti géographiquement et suffisant pour la campagne de vaccination », affirme Pawanexh Kohli, ancien président du Centre national de développement de la chaîne du froid, un centre de réflexion spécialisé. L’Inde dispose de 29 000 lieux de stockage pouvant conserver les précieuses fioles à une température comprise entre 2 et 8 °C, indique le ministère de la Santé. Pour des questions de coûts, les autorités excluent le recours aux vaccins de nouvelle génération, dits à ARN messager, comme celui de l’américain Pfizer, qui doivent être maintenus à – 72 °C. Le défi est moins de stocker et de transporter que de « créer des centres de vaccination de proximité et d’établir des rétroplannings afin d’évaluer le temps qu’il faudra pour leur livrer les doses », estime Pawanexh Kohli.
Pas moins de 200 000 praticiens de santé ont déjà commencé à être formés. Il leur faudra s’exercer, car pour aller vite, les vaccins vont être fournis sous forme de flacons contenant chacun dix doses. Des précautions d’hygiène drastiques seront donc requises pour introduire successivement plusieurs aiguilles à travers le couvercle stérile. Parmi les populations prioritaires, les premiers servis seront les 30 millions de soignants. Puis ce sera au tour des 10 millions de personnes présentant des risques de comorbidité élevés, enfin, à celui des Indiens de plus de 50 ans (260 millions d’individus).
Cette campagne de vaccination est prise très au sérieux, la barre des 10 millions de cas dépistés et celle des 145 000 morts ayant été franchie en Inde. Etrangement, les courbes se sont infléchies depuis le pic de la mi-septembre : le nombre quotidien d’infections a été divisé par trois. « Cette trajectoire est inexplicable, sauf à considérer qu’une part très importante de la population a déjà rencontré le virus », rendant sa propagation de plus en plus difficile, relève Sukumar Ranganathan, chroniqueur scientifique à l’Hindustan Times.
Parallèlement, le système de traçage a fait ses preuves dans plusieurs grandes villes. Quand quelqu’un est testé positif à Bombay, à Delhi ou à Bangalore, des agents de la municipalité débarquent au domicile de l’intéressé avant même que celui-ci ait reçu son résultat. Désinfection de l’immeuble, pose d’une affiche prévenant les voisins, ramassage sécurisé des poubelles du malade, appels quotidiens pour suivre l’évolution de ses symptômes…, les autorités multiplient les précautions. Mais, désormais, elles misent surtout sur une vaccination massive et rapide pour échapper à une deuxième vague épidémique.