Communautarisme : quand les maires jouent avec la loi
Plusieurs édiles disent devoir utiliser le droit de l’urbanisme pour lutter contre des projets communautaristes. Un bricolage juridique qui a ses limites.
Il n’a pas hésité. Quand il a appris que la plus grande mosquée de sa ville allait être cédée au Maroc pour 1 euro symbolique, le maire de Montpellier (Hérault), Michaël Delafosse, a sorti l’artillerie lourde. L’édile a décidé de préempter l’établissement et de se substituer au royaume. A ses yeux, une défense du principe de laïcité. « Un Etat étranger ne doit pas organiser le culte sur le sol français », confie l’élu.
La menace a porté ses fruits. L’association propriétaire de la mosquée Averroès a renoncé à la céder. Michaël Delafosse, lui, était prêt à engager la bataille juridique. « Je vais argumenter sur mille trucs et ils vont reculer, glissaitil. Je n’ai pas le choix. Mon seul levier est le droit de l’urbanisme. » Expropriation, préemption, permis de construire… Notre législation fourmille de règles et de procédures aussi complexes que lénifiantes. La lecture d’un plan local d’urbanisme (PLU) est souvent le meilleur des somnifères. Le droit le plus aride.
Des maires actionnent ce levier pour promouvoir la laïcité ou combattre le communautarisme. Le droit de l’urbanisme, une arme de substitution. « On se sert de la loi comme d’un couteau suisse », observe un élu. « On contourne les règles par des procédures biaisées », confirme le maire de Nice (AlpesMaritimes), Christian Estrosi. A Reims (Marne), Arnaud Robinet tente de freiner la création d’une école coranique, qu’il juge problématique. Le maire joue sur la régularité du chantier ou l’existence de travailleurs non déclarés. « On n’a pas les moyens juridiques d’interdire cette école, mais on essaie de les décourager. » L’établissement n’a pas encore vu le jour. Pour empêcher une messe en plein air organisée par des « extrémistes catholiques », il a pris un arrêté général interdisant l’occupation du domaine public, « en jouant sur les délais ». Du bricolage.
Les exemples pullulent. Un maire d’une ville moyenne soupçonne l’acquéreur d’une supérette de vouloir en faire une salle de sport réservée aux femmes. L’élu s’appuie sur les normes de sécurité pour refuser l’octroi du permis de construire nécessaire aux travaux. « Sans demande de permis, c’était mort », constatetil. Une expérience partagée par Alexandre Vincendet, maire de RillieuxlaPape (Rhône). « La mosquée de la ville ne pose aucun problème. Mais une salle de prière à côté avait été prise en main par un prêcheur de haine. Pour la fermer, j’ai utilisé la réglementation relative aux établissements recevant du public. »
A Mulhouse (HautRhin), la mairie surveille les écoles confessionnelles. « On vérifie que l’établissement est aux normes, précise Paul Quin, adjoint à la sécurité. Cela permet de voir ce qui s’y passe. » Nathalie Frier, maire de SaintFons (Rhône) entre 2014 et 2020, a fait opérer des contrôles sanitaires dans des commerces de snacks et de kebabs, dont elle assimile l’expansion à un « repli communautaire ». A la clef : plusieurs fermetures administratives.
Jouer avec la loi a des limites. Depuis 2016, Alexandre Vincendet suspectait un bar de ne pas recevoir de femmes. Il a dû attendre sa vente, il y a un an, pour exercer son droit de préemption. « Préempter a un coût pour les finances », rappelle le maire de ChalonsurSaône (SaôneetLoire), Gilles Platret. Le juge a aussi son mot à dire. Le combat contre le communautarisme ne doit pas être le cachesexe de discriminations. Cyril Nauth, maire de ManteslaVille (Yvelines) entre 2014 et 2020, a bataillé des années contre l’implantation d’une mosquée dans l’ancienne trésorerie municipale. Il a été désavoué par la justice.
Quelle action vise à lutter contre le séparatisme ? Quelle démarche a un objectif moins avouable ? A PontdeChéruy (Isère), Alain Tuduri a été accusé d’avoir abusivement usé de son droit de préemption auprès d’acquéreurs aux noms à consonance étrangère. Condamné en première instance en 2009, il a finalement été relaxé. Un flou juridique empêche de qualifier la préemption de discriminatoire.
Les procédures, enfin, sont longues. A Nice, Christian Estrosi s’oppose depuis sept ans à une mosquée qu’il soupçonne d’être financée par l’Arabie saoudite. Il veut la remplacer par une crèche. En vain. Le préfet des AlpesMaritimes a rejeté en 2019 la déclaration d’utilité publique demandée par la ville en vue de l’expropriation. La justice a donné trois mois à la mairie pour valider l’arrêté d’ouverture du lieu de culte. Le maire refuse. « L’Etat décide de maintenir l’ouverture, qu’il en assume la responsabilité. » Le droit ne peut pas tout.