Librairie de l’économie Comment la France est devenue la championne du luxe
Peu nombreux sont les ouvrages d’économie entrant dans la famille restreinte de ce qu’il est convenu d’appeler les « beaux livres », ces grands formats protégés d’une épaisse couverture en tissu, imprimés sur papier glacé et riches de photos et d’illustrations. Voilà pour l’aspect « luxe ». Mais ce n’est pas le seul mérite de ce livre, fruit de vingt ans de recherche et d’enquête. Car, côté « secrets », Laurence Picot, journaliste dans l’âme, nous offre un surprenant voyage à travers des siècles de savoir-faire français.
Première surprise : non, la France n’a pas toujours été la championne du luxe. C’est Colbert, qui, en 1663, va faire du développement de ce secteur un levier majeur du redressement économique d’un royaume en souffrance, en proie à une pandémie et aux déficits publics, un contexte pas si différent de celui que nous connaissons aujourd’hui… Les secrets du luxe artisanal, de la rareté et de la pièce unique, les Français vont aller les voler partout dans le monde : en Italie pour les miroirs ou en Chine pour les laques…
Donc, non, la France n’a pas toujours été la championne mondiale du luxe. Mais elle devient à ce moment la championne incontestée des industries du luxe. Et la nuance est de taille. Colbert va mettre en place une véritable stratégie pour mobiliser les arts et les sciences au service des orfèvres, malletiers, stylistes, cristalliers, horlogers et parfumeurs, et fonder des manufactures où seront produits en grande quantité des objets de haute qualité. Ces derniers porteront les noms de leurs lieux de fabrication (Saint-Gobain, Sèvres, Baccarat…) avant que leur soient attribués des patronymes d’entrepreneurs, de Vuitton à Christofle, à partir du xixe siècle…
L’ouvrage est traversé de personnages hauts en couleur, des femmes à l’audace sans limite, des hommes machiavéliques, des savants pas tous fous, des économistes pas tous avisés, des philosophes célèbres et des espions invisibles, sans oublier toutes les petites mains qui gravitent autour des créateurs. S’il fallait n’en retenir que deux, citons Rose Bertin, la couturière de MarieAntoinette, la première véritable styliste de l’Histoire, et « Mme Pompon Newton », de son vrai nom Emilie du Châtelet. Mathématicienne, joueuse compulsive, libertine, amie de Voltaire, elle est l’une des deux scientifiques françaises du siècle des Lumières à être entrées dans les annales scientifiques et a beaucoup écrit sur le luxe. Seule frustration à l’issue de la lecture de ces pages : que l’auteure ne s’aventure pas au-delà de la fin du xixe siècle et ne dise pas un mot des formidables bouleversements qui ont transformé le secteur au xxe siècle. Sachant que frustration ne signifie en aucun cas reproche…