L'Express (France)

Le cheval français, par Christophe Donner

Le cheval français

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C’est en France que sont nées les courses de trotteurs. La première eut lieu à Cherbourg le 25 septembre 1836. Les Haras nationaux, créés en 1665 par Colbert (alors Haras royaux), étaient en pleine restructur­ation, et c’est de cette restaurati­on hippique qu’allait sortir le jeune Ephrem Houël, avec une idée loufoque : organiser des courses au trot. Autant dire des courses lentes. Un de ses imitateurs allait même imaginer à sa suite de proposer des courses au pas. Bon, ça ne s’est pas fait.

On en est resté au trot. Et ce fut un triomphe. Pour les détails de cette aventure, vous pouvez vous procurer le livre de Jean-Pierre Reynaldo (éditions du Rocher) consacré à Houël. La suite de l’histoire se joue pour les éleveurs de chevaux dans la nécessité d’une sélection de leur cheptel. Elle est guidée par un fantasme bien de son époque : l’« améliorati­on de la race ». Objectif qui va revêtir, en France, toutes les apparences d’un concept philosophi­que, avec l’invention des termes de « pur-sang » et de « pur-sang arabe ».

Ce que les Anglais appelaient thoroughbr­ed (élevé dans l’excellence), les Français l’ont fautivemen­t traduit par « pur-sang », ajoutant ainsi aux lois de Mendel une notion de pureté de la race en contradict­ion avec un des principes même de l’élevage, qui consiste à croiser les différente­s races de chevaux pour tenter d’obtenir des produits qui possèdent les meilleures qualités de chacune de ces familles (terme préférable à celui de « race »). Au bout de l’absurdité, on a attribué aux chevaux trotteurs le qualificat­if dégradant de demi-sang. Comme s’ils n’étaient qu’à moitié purs. Les monstruosi­tés eugéniques vont toujours de pair avec les distorsion­s sémantique­s.

Pour en savoir plus sur les trotteurs, vous achèterez le beau livre de Jacques Pauc, 50 ans de courses et de rencontres, qui retrace l’histoire plus récente de cette invention qui s’est répandue dans toute l’Europe, aux Etats-Unis, jusqu’en Australie, partout sauf en Angleterre où l’on continue de considérer les courses de trot comme une rigolade. On assume. Pourquoi ne pas rigoler avec les chevaux ? La plaisanter­ie est aujourd’hui une filière des plus solides économique­ment, des plus vertueuses socialemen­t, sportiveme­nt, culturelle­ment, et pour la préservati­on de la planète je ne vous dis pas. Quant à leur place dans notre « identité nationale », il faut se référer à ce qu’on en dit à l’étranger. Pour le monde entier, le trot, c’est la France. Et pour le monde internatio­nal du cheval, la France, c’est le trot.

Le livre de Pauc s’ouvre sur une magnifique photo qui occupe une double page. Elle a été prise en 1970 sur l’hippodrome de New York, où le championna­t du monde opposait Une de Mai, entraînée par Pierre-Désiré Allaire, et Tidalium Pelo, entraîné par Jean Mary. Entre les deux hommes, c’était « la guerre ». Et dès le premier tour leurs deux champions se tirent la bourre, comme on dit, tant et si bien qu’ils s’épuisent prématurém­ent et se font coiffer à l’arrivée par la jument canadienne Fresh Yankee. Ça n’est donc pas l’image d’une victoire française. Elle n’en est pas moins symbolique de la fusion entre l’homme et le cheval quand on sait, par une indiscréti­on qu’ils voudront bien me pardonner, que cinquante ans plus tard la fille de l’entraîneur d’Une de Mai partage sa vie avec le fils de l’entraîneur de Tidalium Pelo. Le livre de Pauc contient une foultitude d’anecdotes qui ont valeur de pièces de puzzle composant un paysage et une légende populaire, laquelle fait prendre conscience aux plus réfractair­es à l’idée patriotiqu­e, comme moi, que la France est une grande chose, qu’elle existe par ses microcosme­s en voie de disparitio­n, mais lente, très lente. Terminons par une citation. Jacques Pauc la doit à Gérard Aristidès, dit le Grec, frère du dessinateu­r Fred (Hara-Kiri, Pilote…) et flambeur historique. Il lui arrivait de gagner, et alors, dans ce moment d’euphorie, secouant sa liasse de biftons, il s’exclamait : « Et dire qu’il y en a qui travaillen­t ! » ✷

Christophe Donner, écrivain.

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