L'Express (France)

« Ce pays m’a permis de sauver ma peau »

Dans un texte émouvant, l’écrivain et journalist­e Omar Youssef Souleimane*, né en Syrie, explique pourquoi il se sent français, même sans passeport.

- OMAR YOUSSEF SOULEIMANE

« En 2012, après un an passé dans le tumulte de la révolution syrienne, j’ai dû me cacher à Damas avec une fausse carte d’identité. Lorsque la police a interpellé un de mes amis, j’ai su qu’il fallait quitter ma patrie. La plupart des journalist­es ne sont pas ressortis vivants des geôles du régime de Bachar el-Assad. De l’autre côté, la révolution, au départ pacifique, s’était militarisé­e et islamisée. La guerre débutait et, dans un pays divisé entre dictature et milices radicales, il n’y avait plus de place pour les rebelles démocrates.

Je suis parti clandestin­ement en Jordanie, sans en informer personne. Là-bas, j’ai été arrêté brutalemen­t. Une fois libéré, tout ce que je cherchais, c’était la protection, et la liberté d’expression. Une seule idée m’obsédait : partir ailleurs, là où les services de renseignem­ent ne décident ni de la vie ni de la mort. La France pour moi représenta­it un lieu connu pour accueillir les réfugiés politiques. De plus, j’étais un grand admirateur de Paul Eluard. A mon arrivée à Paris, le plus difficile fut d’acquérir la maîtrise du français. Comment apprendre une langue si éloignée de l’arabe ? J’ai passé des mois avant de commencer à parler. J’avais l’impression d’être redevenu un bébé. Mais, une fois que j’ai pu m’exprimer, tout a changé. Un pays m’a ouvert les bras, celui de la culture française.

Pour moi, être français est, avant tout, lié à la langue. Lire Maupassant, Camus ou Christian Bobin dans leur langue d’origine a fait de moi un écrivain francophon­e. Mais la littératur­e ne m’a pas à elle seule procuré une nouvelle identité. En 2015, après les attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre, mon premier réflexe a été de me rendre place de la République, à Paris.

Les maux de la France sont devenus les miens, son avenir est mon avenir. Non parce qu’il s’agirait d’un pays idéal : les amalgames racistes, les “Rentre chez toi !” ou “Tu fais quoi ici ?”, je les lis régulièrem­ent sur les réseaux sociaux. Mais parce que la France m’a, tout simplement, permis de sauver ma peau, et m’a offert ce que je cherchais depuis toujours : parler, écrire et vivre comme je le souhaite. Toutes ces choses inexistant­es dans un régime dictatoria­l.

Beaucoup de mes amis nés en France vivent comme des exilés sur leur propre territoire. Ils n’ont plus confiance dans l’avenir de cette nation, ils ne s’y sentent pas à leur place. Le pays de naissance n’est pas toujours celui dans lequel on se reconnaît.

Pour le régime d’Assad, je n’ai plus le droit d’être syrien, car je suis un exilé politique. Je n’ai pas non plus la nationalit­é française. Ma carte de séjour affiche : “réfugié syrien”. Tout cela ne signifie pas que je ne suis pas français. Comment ne pas l’être quand on écrit et rêve dans cette langue ? On parle toujours des migrants sans papiers. Moi, je suis un Français sans papiers. »

« Après les attentats, mon premier réflexe a été de me rendre place de la République »

* Auteur du Petit Terroriste et du Dernier Syrien (2018 et 2020, Flammarion).

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