L’exécution du roi : une histoire plus complexe qu’on ne le croit
Dans un livre passionnant, l’historien spécialiste de la Révolution Jean-Clément Martin fouille les mois qui ont précédé la décapitation de Louis XVI. Des semaines de débats vifs, entre grands principes et petites manoeuvres. Entretien.
Contrairement à ce qu’on pense souvent, l’exécution du roi n’a pas été une « cérémonie sacrificielle » issue d’un élan spontané de la Révolution française. Mais la dimension symbolique est bien présente, non ? Jean-Clément Martin Il y a un côté cérémonial évident. Paris, ce 21 janvier 1793, est intégralement bloqué par au moins 100 000 hommes armés, une foule de soldats étant massée sur la place de la Concorde – mais certainement ni femmes ni enfants. Paradoxalement, la réaction populaire immédiate est peu spectaculaire. Le soir, les théâtres sont ouverts, et l’on ne trouve pas trace de beaucoup d’émotion ou de mobilisation dans le pays. Or, de toute l’histoire de la Révolution, c’est l’exécution la plus magnifiée dans sa mise en scène, sans comparaison avec celles de la reine ou de Robespierre. Je crois que cela a à voir avec la distance imposée par la personne du roi à tous ceux qui le fréquentaient, révolutionnaires compris. L’exécution est en soi exceptionnelle, or elle se déroule sans troubles graves. Qu’est-ce que cela signifie ?
Je n’en sais trop rien ; l’étude des documents et des archives, objet de ce livre, montre que, sur le moment, l’événement est éminemment politique et frappe les esprits, notamment à l’étranger. Mais il ne faut pas y voir une rupture totale ou un traumatisme global comme on a tendance à le fantasmer aujourd’hui.
Vous détaillez ces mois précédant le 21 janvier 1793 durant lesquels « une opinion s’est peu à peu formée ». Diriez-vous que c’est le fait de principes politiques ou de manoeuvres politiciennes ?
Les deux ont joué. Depuis l’emprisonnement du roi en août 1792 jusqu’à son exécution, près de six mois s’écoulent, pendant lesquels un vif débat national s’engage, alors que la guerre menace : il doit y avoir environ 300 000 ou 400 000 hommes mobilisés. Les esprits sont obnubilés par la lutte contre les ennemis, émigrés, royalistes, sans compter ceux qui ont abandonné la Révolution. La Convention est unanime pour condamner le roi, certes, mais une moitié, dont la plupart des Girondins, est contre sa mise à mort. L’autre moitié, soit les Montagnards et une trentaine de Girondins, y est favorable.On ne peut le nier, certains députés sont animés par des principes. Prenez Rabaut SaintEtienne ou Condorcet : ils ne sont pas contre la mort du roi par calcul ou par lâcheté – n’oublions pas qu’ils vont périr pour leurs idées dans les mois qui suivront –, ils sont sincèrement opposés à la peine de mort. Ils expriment leur position devant plus de 1 000 personnes, députés et spectateurs dans les tribunes, qui les insultent et les menacent. Peut-être sont-ils politiquement modérés, mais ils ne sont pas modérément courageux.
Et il y a les manoeuvriers…
La manoeuvre la plus incroyable est celle de Danton, qui arrive en fin de procès et manipule la Convention en faveur de la mort. Nous n’avons pas de preuves formelles, mais il semble bien que Danton ait été acheté pour voter et faire voter l’emprisonnement du roi, mais qu’il ait viré de bord, faute de recevoir la somme promise. Par ailleurs, une trentaine de Girondins votent
l’exécution du roi au cours des débats. Peur ou conviction ? Difficile de le savoir. Une chose est sûre, en revanche : la décision de la mise à mort signe surtout la victoire des sans-culottes de la Commune insurrectionnelle de Paris. Ce sont eux qui mènent la danse : ils ont imposé l’emprisonnement, puis monté l’opinion contre les députés. Ils auraient voulu que le roi meure sans jugement, ce que Robespierre avait pris à son compte. Or la Convention, y compris Marat, décide la tenue d’un procès, mais laisse l’exécution aux sans-culottes. Le 21 janvier, aucun député n’est présent sur la place de la Concorde… La Révolution a eu la tête du roi, la République a maintenu la légalité.
On apprend que, la veille de son exécution, Louis XVI dîne bien (ailes de poulet panées, deux verres de vin…). Et, le jour même, il stupéfie par son calme, jusque sur l’échafaud, où il déclare : « Je meurs innocent et je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu pour que mon sang ne retombe pas sur la France ! » D’où vient cette sérénité ?
Saura-t-on jamais ce qu’il a dit exactement ? Reste que son calme indéniable est remarqué même par ses pires adversaires ; il est certainement fondé sur sa grande foi religieuse. Pour autant, tout le monde sait « bien mourir » à cette époque-là. A l’exception de la comtesse du Barry, qui s’effondre en larmes sur l’échafaud, les guillotinés, de l’extrême gauche à l’extrême droite, meurent d’une façon « exemplaire », avec calme et résolution, voire avec panache. L’habitude de la mort est unanimement partagée, et tout le monde l’affronte avec la même détermination. Le roi participe de cette culture, que MarieAntoinette ou Saint-Just illustrent également. Cette soumission au destin est extrêmement impressionnante.
Dans ses Mémoires, le député poitevin Thibaudeau, qui a voté la mort du roi, écrira : « Ici se présente l’événement le plus tragique de la Révolution ; ce n’est pas encore assez de trente ans qui se sont écoulés depuis pour aborder ce sujet. » Y a-t-il une mauvaise conscience française d’avoir décapité le roi ?
Dans un certain sens, oui. D’abord parce que les effets en ont été contraires à ce que les partisans de la mort du roi pouvaient en espérer : cette exécution l’a en quelque sorte sanctifié, il meurt exemplairement sans aucun bénéfice pour la République. Politiquement, ce procès a divisé et affaibli les Girondins, si bien que les Montagnards l’ont emporté alors même qu’ils sont, et resteront, minoritaires dans la Convention. Surtout, il faut rappeler que cette mort a été obtenue à la majorité simple par 387 voix pour sans conditions contre 334, alors que le Code pénal prévoyait le vote des trois quarts des jurés pour que cette peine soit prononcée. C’est Danton qui a imposé la majorité simple, en violation de la loi. Les députés se sont fait forcer la main sans tirer aucun avantage politique de cette mort. Leur mauvaise conscience peut se comprendre devant pareil résultat.
Quand il était ministre de l’Economie, Emmanuel Macron avait dit que l’exécution du roi « a[vait] creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif » (*). De sorte que, selon lui, les Français attendent encore aujourd’hui du président de la République « qu’il occupe cette fonction ». Qu’en pensez-vous ?
En tant qu’historien, je distingue toujours ce qui se déroule au moment des faits des formules éclatantes inventées par la suite. Car des formules célèbres sur la mort du roi, il y en a ! A commencer par celle de Balzac : « En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille » ; Renan parlera même du « suicide » de la France à cette occasion ; Emmanuel Macron s’inscrit dans cette veine. C’est la grande idée qu’en France on a besoin d’un homme providentiel pour diriger, et que la démocratie, c’est « le trône vide » théorisé par le philosophe Claude Lefort. J’avoue être très mitigé. La question posée, en définitive, est celle de notre rapport singulier au pouvoir exécutif. C’est le problème fondamental de la France depuis la Révolution : arriver à gérer notre rapport à l’exécutif, toujours considéré comme indispensable mais menaçant, face au législatif, essentiel mais imprévisible – ce qui s’est aggravé, en quelque sorte, avec la Constitution de 1958. Un symptôme : je trouve hallucinant qu’on continue de désigner aujourd’hui par « pouvoir régalien » les prérogatives des ministères garantissant la puissance de l’Etat. Pour moi, le traumatisme supposé de la mort du roi évite de réfléchir à notre psychologie collective vis-à-vis de l’autorité – de Louis XVI à Napoléon – comme de la démocratie – la peur de la Terreur ! C’est notre psychanalyse qu’il faut faire, en commençant par revenir à ce qui s’est effectivement passé, d’où ce livre. ✷