La décennie 2020, le règne des Etats
La pandémie pourrait marquer un tournant dans l’Histoire en relégitimant la puissance publique.
Qu’est-ce que l’Etat ? Quand on aborde cette question, on pense d’abord à des éléments matériels. L’Etat, ce sont les forces de l’ordre, le paiement des retraites ou encore la réglementation de la vitesse de circulation. Jamais la puissance matérielle des Etats n’aura été aussi forte.
Et ce n’est qu’un début. Mais l’Etat est surtout une fiction, une croyance commune que le pouvoir doit être confié à une structure faîtière qui permettra un meilleur agencement de la société.
Que se passe-t-il quand une organisation devient plus lourde que l’idée qui la soutient ?
Elle s’écrase sur elle-même.
Trajectoire haussière
Dans un exercice de prospective toujours risqué, il semble réaliste de considérer que les Etats seront, avec les banques centrales – dont on pourrait avancer qu’elles appartiennent à la même sphère en dépit de leur indépendance de façade –, les acteurs principaux de la décennie à venir. En dépit des discours récurrents sur son recul, l’Etat n’a guère faibli dans les chiffres. Au sein de l’OCDE, le niveau de la dépense publique ramenée au PIB était de 39 % en 2007, et il a progressé d’un point ces dix dernières années. La crise sanitaire ne va pas altérer cette trajectoire haussière. La dépense publique aux Etats-Unis va tutoyer les 44 %, record historique atteint en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Mais, depuis le tournant libéral des années 1980, les Etats occidentaux avaient intégré leur propre illégitimité et semblaient réticents à agir. La crise sanitaire a balayé cela. C’est l’absence d’intervention qui a été conspuée, le manque de vision de long terme critiqué, l’insuffisance de réserves stratégiques vilipendée. Le discours de Reagan de 1986 – « les neuf mots les plus terrifiants en anglais sont : je suis le gouvernement et je veux vous aider » – n’a jamais semblé sonner aussi faux, les gens se pressant aux guichets de soutien. L’Etat a gagné le droit de vie ou de mort sur des pans entiers de l’activité économique, distinguant ce qui était essentiel de ce qui ne l’était pas. Au-delà des entreprises, l’intervention de l’Etat est devenue totale avec les exercices de confinement, contraignant les libertés individuelles comme jamais.
Une parenthèse se ferme
La pandémie pourrait bien marquer un tournant dans l’Histoire, la fermeture symbolique d’une parenthèse qui laissait penser que les Etats se réduiraient à peau de chagrin, finissant telles ces entités fantoches, jouets des multinationales, décrites par Neal Stephenson dans son roman de 1992, Le Samouraï virtuel. Au-delà de la crise sanitaire, les signaux du retour de l’Etat sont multiples. L’Etat américain, qui n’avait pu faire mieux que négocier un arrangement avec Microsoft au titre des pratiques anticoncurrentielles au début des années 2000, entend bien aujourd’hui s’attaquer à Facebook. 48 procureurs généraux des Etats fédérés, ainsi que la Federal Trade Commission, sous l’autorité de Donald Trump, ont intenté des poursuites antitrust. Le président élu Joe Biden a refusé, pour sa cérémonie d’inauguration, les dons de toute entreprise impliquée dans les combustibles fossiles, ainsi que de Facebook.
Verrou psychologique
Au Royaume-Uni, le Brexit, poussé par des conservateurs chantres de la Big Society, autrement dit du recul de l’Etat au profit de communautés plus petites, est en train de faire émerger un « new New Labour », entre travaux d’infrastructures, taxation exceptionnelle sur le patrimoine et augmentation du salaire minimum. Lors de la présentation de son plan de grands travaux, subtilement baptisé New Deal, Boris Johnson n’a-t-il pas dû lui-même affirmer qu’il n’était pas communiste ? Les nouvelles marges de manoeuvre offertes par les banques centrales ont fait sauter un verrou psychologique. En avril, la Banque d’Angleterre a accepté une requête du Trésor pour financer directement les besoins de dépenses de l’Etat. Le défi climatique se traduira dans tous nos pays par des demandes interventionnistes croissantes, comme ces emplois publics prévus par millions dans le Green New Deal des socialistes américains.
Mais attention ! L’interventionnisme ne sera toléré que s’il montre son efficacité. Sinon, c’est la croyance même en l’Etat qui s’évanouira. Nous sommes, en France, bien placés pour savoir qu’accumuler les textes de lois et les milliards ne suffit pas à entretenir cette croyance. Le renouveau de l’Etat, c’est peut-être une idée, mais ce sont surtout des outils et des talents qui rendront son intervention légitime, donc supportable.
Robin Rivaton, essayiste (L’Immobilier demain, Dunod, 2020), directeur d’investissement chez Idinvest Partners.