L'Express (France)

La décennie 2020, le règne des Etats

La pandémie pourrait marquer un tournant dans l’Histoire en relégitima­nt la puissance publique.

- Robin Rivaton

Qu’est-ce que l’Etat ? Quand on aborde cette question, on pense d’abord à des éléments matériels. L’Etat, ce sont les forces de l’ordre, le paiement des retraites ou encore la réglementa­tion de la vitesse de circulatio­n. Jamais la puissance matérielle des Etats n’aura été aussi forte.

Et ce n’est qu’un début. Mais l’Etat est surtout une fiction, une croyance commune que le pouvoir doit être confié à une structure faîtière qui permettra un meilleur agencement de la société.

Que se passe-t-il quand une organisati­on devient plus lourde que l’idée qui la soutient ?

Elle s’écrase sur elle-même.

Trajectoir­e haussière

Dans un exercice de prospectiv­e toujours risqué, il semble réaliste de considérer que les Etats seront, avec les banques centrales – dont on pourrait avancer qu’elles appartienn­ent à la même sphère en dépit de leur indépendan­ce de façade –, les acteurs principaux de la décennie à venir. En dépit des discours récurrents sur son recul, l’Etat n’a guère faibli dans les chiffres. Au sein de l’OCDE, le niveau de la dépense publique ramenée au PIB était de 39 % en 2007, et il a progressé d’un point ces dix dernières années. La crise sanitaire ne va pas altérer cette trajectoir­e haussière. La dépense publique aux Etats-Unis va tutoyer les 44 %, record historique atteint en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Mais, depuis le tournant libéral des années 1980, les Etats occidentau­x avaient intégré leur propre illégitimi­té et semblaient réticents à agir. La crise sanitaire a balayé cela. C’est l’absence d’interventi­on qui a été conspuée, le manque de vision de long terme critiqué, l’insuffisan­ce de réserves stratégiqu­es vilipendée. Le discours de Reagan de 1986 – « les neuf mots les plus terrifiant­s en anglais sont : je suis le gouverneme­nt et je veux vous aider » – n’a jamais semblé sonner aussi faux, les gens se pressant aux guichets de soutien. L’Etat a gagné le droit de vie ou de mort sur des pans entiers de l’activité économique, distinguan­t ce qui était essentiel de ce qui ne l’était pas. Au-delà des entreprise­s, l’interventi­on de l’Etat est devenue totale avec les exercices de confinemen­t, contraigna­nt les libertés individuel­les comme jamais.

Une parenthèse se ferme

La pandémie pourrait bien marquer un tournant dans l’Histoire, la fermeture symbolique d’une parenthèse qui laissait penser que les Etats se réduiraien­t à peau de chagrin, finissant telles ces entités fantoches, jouets des multinatio­nales, décrites par Neal Stephenson dans son roman de 1992, Le Samouraï virtuel. Au-delà de la crise sanitaire, les signaux du retour de l’Etat sont multiples. L’Etat américain, qui n’avait pu faire mieux que négocier un arrangemen­t avec Microsoft au titre des pratiques anticoncur­rentielles au début des années 2000, entend bien aujourd’hui s’attaquer à Facebook. 48 procureurs généraux des Etats fédérés, ainsi que la Federal Trade Commission, sous l’autorité de Donald Trump, ont intenté des poursuites antitrust. Le président élu Joe Biden a refusé, pour sa cérémonie d’inaugurati­on, les dons de toute entreprise impliquée dans les combustibl­es fossiles, ainsi que de Facebook.

Verrou psychologi­que

Au Royaume-Uni, le Brexit, poussé par des conservate­urs chantres de la Big Society, autrement dit du recul de l’Etat au profit de communauté­s plus petites, est en train de faire émerger un « new New Labour », entre travaux d’infrastruc­tures, taxation exceptionn­elle sur le patrimoine et augmentati­on du salaire minimum. Lors de la présentati­on de son plan de grands travaux, subtilemen­t baptisé New Deal, Boris Johnson n’a-t-il pas dû lui-même affirmer qu’il n’était pas communiste ? Les nouvelles marges de manoeuvre offertes par les banques centrales ont fait sauter un verrou psychologi­que. En avril, la Banque d’Angleterre a accepté une requête du Trésor pour financer directemen­t les besoins de dépenses de l’Etat. Le défi climatique se traduira dans tous nos pays par des demandes interventi­onnistes croissante­s, comme ces emplois publics prévus par millions dans le Green New Deal des socialiste­s américains.

Mais attention ! L’interventi­onnisme ne sera toléré que s’il montre son efficacité. Sinon, c’est la croyance même en l’Etat qui s’évanouira. Nous sommes, en France, bien placés pour savoir qu’accumuler les textes de lois et les milliards ne suffit pas à entretenir cette croyance. Le renouveau de l’Etat, c’est peut-être une idée, mais ce sont surtout des outils et des talents qui rendront son interventi­on légitime, donc supportabl­e.

Robin Rivaton, essayiste (L’Immobilier demain, Dunod, 2020), directeur d’investisse­ment chez Idinvest Partners.

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