Ce qu’on oublie de dire sur l’immigration
Les débats sur cette question éludent le regroupement géographique excessif des populations concernées, et leur contribution à la protection sociale.
Le contrôle de l’immigration fait l’objet d’un débat lancinant – la sortie d’essais de qualité tels que ceux de Didier Leschi ou de Patrick Stefanini en témoigne (*) –, mais il exige une rigoureuse mise en perspective. Rappelons d’abord quelques chiffres. La proportion d’immigrés dans la population française a stagné de 1975 jusqu’aux débuts des années 2000, malgré la politique de regroupement familial. Et c’est au moment où Nicolas Sarkozy est arrivé à la tête du ministère de l’Intérieur que le nombre d’immigrés est reparti à la hausse – tendance confirmée sous sa présidence – alors même que ce dernier avait mené une vigoureuse campagne sur le thème de la régulation des flux et de « l’immigration choisie ». Plusieurs phénomènes exogènes se sont conjugués pour expliquer cette hausse, mais la corrélation des faits rappelle une évidence : sur ce sujet, il faut être prudent, modeste, et éviter les effets d’annonce.
Soulignons ensuite, et surtout, un phénomène que les polémiques ne prennent jamais en compte : l’extrême concentration géographique du phénomène depuis trente-cinq ans. A partir des années 1980 s’amorce une dynamique de densification de la population immigrée sur le territoire de l’Ile-de-France : la part des immigrés dans la population francilienne passe de 13 % en 1982 (contre 7,4 % en France métropolitaine) à 19 % en 2015 (contre 9,2 % à l’échelle nationale). En 1982 toujours, des 10 premiers départements de France métropolitaine quant à la part d’immigrés, seuls 4 étaient franciliens : Paris, la Seine-SaintDenis, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne ; en 2015, les 8 départements d’Ile-de-France en font partie.
A elle seule, la SeineSaint-Denis compte 29 % d’immigrés (dans le Valde-Marne, 21 %, et à Paris,
20 %). De façon plus générale, la part des immigrés dans la population est 2 fois supérieure dans les quartiers urbains pauvres que sur l’ensemble de la France métropolitaine. Autrement dit, l’essentiel de la nouvelle immigration depuis trente ans a été concentré dans les communes les plus pauvres d’Ile-de-France.
Difficile ensuite de s’étonner de la montée du communautarisme et du « séparatisme » ! Pourquoi cette concentration géographique ? Parce que les immigrés viennent travailler, et qu’ils ont un comportement d’acteurs économiques rationnels : l’Ile-de-France est de très loin la région française créant le plus de richesse.
En outre, le système social redistribue de façon très généreuse les richesses créées – les charges sociales prélevées sur le travail financent 85 % du coût total des pensions et 61 % du financement total de la protection sociale.
W OÙ VONT LES ALLOCATIONS ?
Ces transferts vont-ils vers les immigrés, via les allocations familiales et le RSA, comme on l’entend beaucoup ? Eh bien non. Sur les 730 milliards de la protection sociale, 480 milliards sont destinés aux retraités. Or la population immigrée est comparativement beaucoup plus jeune que le reste de la population française. En conséquence, la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France (le taux de pauvreté y est 2 fois supérieur à la moyenne nationale), le plus jeune et celui qui compte la plus grande part d’immigrés, est aussi le huitième contributeur au financement de la protection sociale en France, mais… le dernier receveur.
Enfin, les immigrés des grandes métropoles, installés à proximité des zones les plus riches de France, bénéficient de l’accès à un marché de l’emploi abondant dans des secteurs qui demandent peu de qualification : les services à la personne, l’hôtellerie-restauration, les transports, la logistique, des secteurs souvent délaissés par la population non immigrée. Si la moitié des habitants de la Seine-Saint-Denis l’ont quittée en dix ans, c’est parce qu’une bonne partie d’entre eux a pris l’escalier social, grâce à ce formidable bassin d’emploi qu’est Paris. Et, à l’inverse, leur disponibilité à proximité immédiate du marché permet de limiter les coûts de ces services peu qualifiés.
Quand on parle d’immigration, on évoque la plupart du temps les problèmes – réels – que pose ce phénomène. N’oublions pas d’en comprendre les sources. Et de relever, aussi, ce qui va bien.
La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, le plus jeune, est aussi le huitième contributeur au financement de la protection sociale en France, mais... le dernier receveur
(*) Ce grand dérangement. L’immigration en face,
par Didier Leschi (Gallimard) ;
Immigration. Ces réalités qu’on nous cache,
par Patrick Stefanini (Fayard).
Hakim El Karoui, né en 1973 à Paris, est un essayiste français, consultant à l’Institut Montaigne, auteur de Les quartiers pauvres ont un avenir, rapport pour l’Institut Montaigne, octobre 2020 (en ligne).