APEIROGON
PAR COLUM MCCANN. TRAD. DE L’ANGLAIS (IRLANDE) PAR CLÉMENT BAUDE. BELFOND, 512 P., 23 €.
Avec Apeirogon, l’Irlandais Colum McCann fait preuve une fois de plus de sa belle sensibilité et de son incroyable érudition. L’auteur d’Et que le vaste monde poursuive sa course folle et de Transatlantic entraîne ici ses lecteurs au Proche-Orient, sur fond de conflit israélo-palestinien. Enfant de Dublin, né en 1965 et familier des checkpoints entre les deux Irlandes, McCann arpente la Cisjordanie avec le coeur. Ses deux héros ont tout pour se détester. Le premier, Rami Elhanan, est israélien, le second, Bassam Aramin, palestinien. Rami a perdu sa fille, Smadar, 13 ans, dans un attentat-suicide en 1997 ; Bassam a perdu la sienne, Abir, 10 ans, en 2007, foudroyée sur le chemin de l’école par une balle tirée par un garde-frontière israélien. Mais si leurs camps sont opposés, les deux hommes vont se rapprocher et, bientôt, « comprendre qu’ils se serviraient de la force de leur chagrin comme d’une arme », envers et contre tout, notamment leurs propres communautés.
Ecrit en courts paragraphes, entremêlant anecdotes, drames et envolées poétiques, Apeirogon (figure géométrique au nombre infini de côtés) émeut et instruit tout à la fois. Faisant preuve d’une maîtrise époustouflante, Colum McCann compose un puzzle envoûtant, alternant en spirale les séquences (l’emprisonnement de Bassam, à 17 ans, les conférences tous azimuts des membres des Combattants pour la paix, et du Cercle des parents, l’enfer des barrages, l’Holocauste) et creusant sans relâche les circonstances des meurtres des fillettes. Ici ou là surgissent aussi les ombres de Borges, Freud, Kosinski, Picasso, Philippe Petit… Acheté par Spielberg, lauréat du prix du meilleur livre étranger 2020, Apeirogon force l’admiration.