L'Express (France)

La décroissan­ce, seule issue

LESS IS MORE. HOW DEGROWTH WILL SAVE THE WORLD

- PAR JASON HICKEL. WILLIAM HEINEMANN, 336 P., 17,45 € FRANÇOIS ROCHE

généraleme­nt, les livres sur la décroissan­ce agacent. Ils sont peu prisés non seulement des économiste­s pour qui la croissance est le seul levier possible du progrès, mais aussi des responsabl­es politiques, car les perspectiv­es qu’ils ouvrent leur paraissent davantage destinées aux « rêveurs » qu’à ceux qui sont aux affaires et contraints par les logiques financière­s. Pourtant, un livre sur ce thème, écrit par un anthropolo­gue de l’économie, natif du Swaziland, collaborat­eur régulier au Guardian et au Foreign Policy, figure bel et bien parmi les meilleurs ouvrages de l’année sélectionn­és par le Financial Times.

L’auteur, Jason Hickel, aborde le sujet avec une certaine rigueur scientifiq­ue. Il dresse d’abord le constat, que d’autres ont fait avant lui, que la planète est face à un effondreme­nt de sa biodiversi­té, et notamment de ses population­s d’insectes et d’oiseaux. Or les insectes sont indispensa­bles à la pollinisat­ion des plantes et constituen­t la ressource alimentair­e de milliers d’autres espèces. Pour l’auteur, si l’on n’avait besoin que d’un indicateur pour nous alerter sur l’urgence environnem­entale, celui concernant les insectes suffirait, car il donne à voir combien les milieux naturels sont à bout de souffle, épuisés par la chimie et achevés par l’augmentati­on des températur­es.

Dès lors, pour sauver la planète, le bon sens conduit, selon Jason Hickel, à s’engager dans la voie de la décroissan­ce afin de redonner une chance aux écosystème­s et aux services essentiels qu’ils rendent aux humains. Mais cela reviendrai­t à remettre en question le capitalism­e. Or s’il est une idée souvent balayée d’un revers de main sans même être analysée, c’est bien celle-ci. L’anthropolo­gue a beau jeu d’expliquer qu’il est plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalism­e : « Ce n’est pas une surprise. Après tout, le capitalism­e, c’est tout ce que nous connaisson­s. Et même si l’on envisageai­t d’y mettre fin, qu’adviendrai­t-il ensuite ? Par quoi le remplacer ? » Singulier manque d’imaginatio­n, dénoncet-il, de la part de sociétés qui, dans d’autres domaines, veulent faire reculer les limites de la science et de la connaissan­ce.

Pour Jason Hickel, croire que la technologi­e peut créer de la « croissance verte » est une illusion, à laquelle il avoue avoir lui-même succombé par le passé. La technologi­e, si utile soit-elle, ne pourra pas résoudre le problème qui, selon l’auteur, se pose en termes clairs : il est impossible de limiter la hausse des températur­es du globe à moins de 2 °C, tout en poursuivan­t un objectif de croissance de l’économie mondiale de 2 à 4 %. Ce sont deux objectifs contradict­oires, et seule la décroissan­ce peut nous permettre de sortir de l’impasse. A défaut d’être partagée par les élites économique­s, la démonstrat­ion du chercheur ne manquera pas de séduire tous ceux qui ne se reconnaiss­ent pas ou plus dans le système capitalist­e.

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