Les effets encore mal connus des vaccins sur les personnes très âgées
Les premières doses seront proposées aux résidents en Ehpad. Or l’efficacité de ces injections a été très peu étudiée chez les plus de 85 ans.
Les personnes âgées vivant en Ehpad seront les premières en France à bénéficier d’un vaccin contre le Covid. Une option revendiquée par les experts de la Haute Autorité de santé, chargés d’élaborer des recommandations sur la stratégie vaccinale, et reprise par le gouvernement. Dans un contexte où le nombre de doses livrées sera très limité, du moins au début, il fallait en effet établir des priorités. « Ce choix pouvait se discuter, mais il se comprend fort bien : ce sont ces personnes qui ont payé le plus lourd tribut au virus en termes de mortalité. Les résidents cumulent un double risque, celui de l’âge et celui de la collectivité. Et on se rend compte que, en dépit de toutes les mesures qui ont été prises au sein des Ehpad, le virus continue d’y circuler ; il faut donc agir », explique le Pr Odile Launay, infectiologue et spécialiste de la vaccination.
Si une démarche similaire a été retenue dans de nombreux pays, à commencer par les Etats-Unis, elle suscite néanmoins des interrogations. Notamment parce que parmi toutes les inconnues qui entourent encore les vaccins contre le Covid, celle de l’efficacité de ces injections chez les personnes de plus de 80 ans – justement celles résidant en Ehpad – n’est pas des moindres. Si la capacité des nouveaux vaccins à protéger les seniors (jusqu’à 75 ans) a été bien évaluée, les populations très âgées demeurent les grandes oubliées des essais vaccinaux.
De fait, aucun sujet de plus de 85 ans n’a été inclus dans le protocole à grande échelle dirigé par Pfizer et BioNTech, dont les données viennent tout juste d’être publiées, et ils étaient très peu nombreux âgés de 75 à 85 ans (1 559 seulement sur 36 523 participants). Il en va de même pour l’essai de phase 3 conduit par la société de biotechnologie Moderna. Dans cette tranche d’âge, les deux essais américains ont montré qu’il n’y avait pas eu de cas d’infection au coronavirus parmi les personnes vaccinées, contrairement au groupe placebo, mais leur puissance statistique est considérée comme faible par les experts. Et, au delà, il n’y a pas de données.
« A la décharge des firmes, il est difficile de mener des essais cliniques sur les âges extrêmes de la vie, que ce soit chez le petit bébé ou chez les personnes du quatrième âge, car ce sont des publics d’une
grande fragilité », souligne le Pr Brigitte Autran, immunologue et membre du comité Vaccin Covid-2019. A cela s’ajoute la nécessité pour les industriels de montrer dans leurs essais le plus haut niveau d’efficacité possible : « Si on cherche à démontrer qu’un vaccin marche, on va le tester avant tout chez les sujets qui ont un bon système immunitaire. Car, si on se met dans les plus mauvaises conditions, on va peiner à démontrer son efficacité », justifie Michel Cogné, immunologue et professeur à l’université de Limoges.
C’est toute l’ambiguïté de la situation actuelle où, finalement, les vaccins seront administrés en priorité aux sujets sur lesquels ils ont été le moins bien testés. Et si la question de leur effet dans ces tranches d’âge se pose, c’est également parce que l’immunité, à cette période de la vie, est souvent moindre. Un phénomène appelé « immunosénescence » : « C’est un peu comme pour la presbytie et la presbyacousie : on sait que le système immunitaire commence à vieillir à partir de 60-65 ans. Ensuite, il y a vraisemblablement des sauts dans la perte de réponse immunitaire, et on ne sait pas grand-chose des personnes très âgées, cela a été assez peu étudié », précise le Pr Autran.
Une chose est sûre, « la plupart des vaccins fonctionnent moins bien à 90 ans qu’à 30 ans », constate Michel Cogné. Il existe toutefois des exceptions, comme le récent vaccin contre le zona, aussi efficace chez les personnes âgées que chez les plus jeunes. Mais la question se pose tout particulièrement avec les vaccins contre de nouveaux virus, signale le Pr Autran : « Plus on vieillit, plus on développe difficilement des réponses à de nouveaux agents infectieux. »
Cette priorisation, en tout cas, fait débat. Aux Etats-Unis, une experte des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) s’est ainsi publiquement opposée à cette politique, arguant que les vaccins étaient souvent moins efficaces dans cette population, ce qui risquerait de compromettre leur image auprès du grand public. Lors de son audition devant les parlementaires, Marie-Paule Kieny, présidente du comité Vaccin Covid-19, a plaidé de son côté pour un élargissement rapide de la cible de la vaccination en France : « La mortalité en Ehpad, plus importante que chez les personnes qui vivent chez elles, fait que l’on risque de se retrouver avec des cas de mortalité inexpliquée, qui pourraient être attribués à tort au vaccin. » Pour autant, les autorités sanitaires font valoir que même si le vaccin s’avérait un peu moins efficace dans cette population, celle-ci a une probabilité tellement élevée de développer une forme grave de la maladie que la balance bénéfice-risque resterait très en faveur de la vaccination.
Les résultats devront, en tout état de cause, être examinés vaccin par vaccin. Chaque technologie pourrait en effet présenter une efficacité variable, tout particulièrement dans les tranches d’âge les plus élevés. L’exemple de Sanofi, obligé de revoir sa copie faute d’être parvenu à provoquer une réponse immunitaire suffisante chez les seniors, le montre. Mais tout n’est pas noir pour autant : « Certains laboratoires ont inclus des sujets jusqu’à 85 ans dans les phases 1 et 2. On peut d’ores et déjà en tirer quelques enseignements, et ils sont plutôt encourageants, mais il faut rester très prudent sur la fiabilité de ces informations », nuance Brigitte Autran.
Une autre solution consisterait à vacciner l’entourage des personnes âgées pour les protéger – mais, pour le moment, cela n’est pas à l’ordre du jour. Il faudrait en effet pour cela que ces nouveaux vaccins non seulement prémunissent contre le risque de tomber malade, mais qu’ils préviennent aussi l’infection, et donc la possibilité de transmettre le virus. Or il est trop tôt aujourd’hui pour affirmer qu’ils sont susceptibles de jouer aussi ce rôle : les données, là encore, manquent. D’autres informations devraient toutefois rapidement venir s’ajouter à celles dont nous disposons déjà, ne serait-ce que les données de vie réelle issues des pays qui auront démarré le processus de vaccination avant nous. En France, la plateforme d’essais vaccinaux Covireivac, lancée par l’Inserm, doit également mener un essai clinique sur le vaccin de Moderna, avec l’objectif d’élucider cette question :
« Plus on vieillit, moins on développe des réponses à de nouveaux agents infectieux »
« Nous allons recruter 180 personnes, dont 120 de plus de 60 ans, pour comparer la réponse immunitaire selon les âges », a indiqué le Pr Launay lors d’une conférence de presse. La stratégie communiquée par les pouvoirs publics sera évidemment évolutive en fonction des données disponibles.
« Il faudra peut-être se donner les moyens de vérifier si les personnes âgées sont protégées ou non par le vaccin en effectuant des tests sérologiques de recherche d’anticorps, indique le Pr Renato Monteiro, président de la Société française d’immunologie et chef de service à l’hôpital Bichat (AP-HP). Si les vaccins s’avéraient finalement peu efficaces chez elles, nous pourrions disposer d’une autre arme : l’immunothérapie passive. » Il s’agit d’anticorps monoclonaux – sélectionnés et synthétisés à partir d’anticorps de patients guéris du Covid – qui ont montré dans de premières phases d’essais cliniques qu’ils peuvent réduire le risque pour les patients, même âgés, d’être transférés en réanimation, affirme ce chercheur, qui a récemment cosigné une tribune appelant les autorités sanitaires à autoriser l’utilisation de ces produits innovants en Europe, tout en poursuivant les essais cliniques.
« Quand la personne ne répond pas au vaccin ou attrape la maladie malgré celui-ci, cela peut être une solution, car l’anticorps bloquant n’a pas besoin du système immunitaire pour agir, contrairement au vaccin. Il peut donc être efficace même chez des personnes dotées d’une moins bonne immunité », assure le Pr Monteiro. Le traitement doit, dans ce cas, être administré dans les trois jours qui suivent l’apparition des symptômes, et il agit pendant trois semaines. Avec deux obstacles tout de même : le coût des doses – même s’il reste inférieur à celui d’un séjour en réanimation – et, surtout, leur disponibilité, les fabricants faisant face à de fortes limites des capacités de production dans ce domaine. Mais, malgré tout, l’espoir est bien là : notre arsenal contre le Covid ne cesse de se renforcer, notamment pour les plus fragiles d’entre nous. Enfin.