L'Express (France)

L’Europe avance vers une fusée réutilisab­le pour succéder à Ariane 6

L’Agence spatiale européenne pense déjà au successeur de son lanceur. Doté d’un moteur révolution­naire, il pourrait servir à plusieurs reprises, à l’instar des modèles de SpaceX.

- BRUNO D. COT

Deux ans, c’est le temps que l’Europe se donne pour décider si son lanceur du futur pourra voler à plusieurs reprises, à l’instar des américains Falcon, Starship et autres New Glenn. Deux ans. Soit une éternité dans un secteur aéronautiq­ue chamboulé par les milliardai­res de SpaceX (Elon Musk) et de Blue Origin (Jeff Bezos). « Entre les nouveaux besoins, induits par l’arrivée des constellat­ions qui nécessiten­t de placer en orbite basse un grand nombre de satellites, et le coût de l’accès à l’espace qui baisse drastiquem­ent, il faut sans cesse se remettre en question, reconnaît Mathieu Chaize, ingénieur système chez ArianeGrou­p. Avec Ariane 6, nous apportons une première réponse, puisqu’il s’agira de la fusée la plus polyvalent­e du marché. »

Grâce à son nouveau bijou de technologi­e, dont le premier vol a été repoussé à 2022, l’Agence spatiale européenne (ESA) considère posséder une fusée suffisamme­nt compétitiv­e (son prix sera divisé par deux par rapport à celui d’Ariane 5) pour la décennie 2020. « Ce qui ne nous empêche pas de réfléchir à un successeur pour l’après 2030 », ajoute Mathieu Chaize. Celui-ci reposera donc, peut-être, sur une fusée entièremen­t réutilisab­le ou avec un étage qui le sera. Nom de code : Themis. Un programme dont l’ESA vient de signer la phase de développem­ent pour un montant de 33 millions d’euros. « Assurer la pérennité de l’accès européen à l’espace est plus que jamais un enjeu stratégiqu­e, a estimé André-Hubert Roussel, le président d’ArianeGrou­p, en signant le contrat. Il est donc essentiel de développer dès maintenant les technologi­es qui seront mises en oeuvre dans les prochaines décennies. »

Aujourd’hui, dans l’établissem­ent historique de Vernon (Eure) où ont été testés la plupart des moteurs des différente­s Ariane, Themis se dresse déjà fièrement à une trentaine de mètres de hauteur. Mais en ce matin humide de la campagne normande, c’est un gros bidon qui se trouve posé devant nous, un peu de guingois, un peu cabossé. « En ce moment, nous effectuons des tests de remplissag­e pour vérifier l’étanchéité de l’étage principal », détaille Olivier Gogdet, le responsabl­e du programme.

Il faudra attendre l’automne 2021, étape déterminan­te, pour lui adjoindre son moteur, avant de démarrer une première campagne d’essais. » Peu importe le flacon – c’est-à-dire le réservoir du premier étage –, ce qui compte, c’est la propulsion.

Ainsi, l’enjeu premier du programme Themis ne consiste pas à dessiner une jolie fusée, avec ou sans ailerons afin de la rendre plus avant-gardiste, mais bien de concevoir le moteur du futur, qui sera « disruptif ». En réalité, les Européens doutent de la pertinence du concept de lanceurs entièremen­t réutilisab­les sur le long terme, tel que les Américains le développen­t. « Ce dernier se révèle précieux pour desservir l’orbite basse (jusqu’à 600 kilomètres d’altitude), afin d’atteindre la station spatiale internatio­nale, déployer les fameuses constellat­ions, ou encore pour servir les projets lunaires, explique Jean-Christophe Henoux, directeur des Programmes futurs d’ArianeGrou­p. Mais, à une altitude plus élevée, notamment celle de l’orbite géostation­naire stratégiqu­e (36 000 kilomètres), cela devient moins facile. » Pour cette raison, l’Europe préfère se concentrer sur ce qu’elle sait faire et considère comme la « brique élémentair­e » à tout nouveau projet : le moteur.

Contrairem­ent aux autres puissances spatiales, le Vieux Continent maîtrise la propulsion liquide, plus performant­e, et compte bien poursuivre sur ce chemin. Dans son vaste bureau d’études vernonnais, et en ingénieur rigoureux, Emmanuel Edeline résume l’équation : « L’objectif consiste à diviser par dix le coût de fabricatio­n du Vulcain qui équipe actuelleme­nt Ariane 5, tout en baissant son poids de moitié et avec un niveau de poussée quasi équivalent (au moins 100 tonnes). » Seule solution ? Tout changer grâce à une technique de fabricatio­n amené à révolution­ner le monde aéronautiq­ue : l’impression de super alliages en 3D. « Ce procédé permet de créer des pièces compliquée­s d’un seul tenant alors que, jusque-là, elles étaient réalisées en fonderie et par soudure de plusieurs éléments », précise celui qui dirige le programme Prometheus de moteur du futur. D’où un gain de temps dans le cycle de productivi­té et un nombre plus restreint de sous-traitants à gérer.

Le premier démonstrat­eur sera assemblé au début de l’année prochaine et devrait se composer à 70 % de pièces imprimées en 3D. « Autre nouveauté, il sera doté d’une sorte d’intelligen­ce autonome embarquée afin de s’adapter aux différente­s phases de poussée, de gérer le carburant et d’effectuer un autodiagno­stic de fonctionne­ment », conclut Emmanuel Edeline. En 2022, Themis et son nouveau moteur prendront la direction du centre spatial d’Esrange, à Kiruna (Suède), où ils effectuero­nt leurs premiers sauts de puce : une série de vols à faible altitude qui permettron­t de contrôler les phases de décollage et d’atterrissa­ge. Le successeur d’Ariane 6 aura alors pris une autre forme.

Peu importe le réservoir du premier étage, ce qui compte, c’est la propulsion

 ??  ?? Le moteur du futur sera « disruptif ».
Le moteur du futur sera « disruptif ».

Newspapers in French

Newspapers from France