L'Express (France)

Vaccins modifiant notre génome : itinéraire d’une fake news

- THOMAS MAHLER, AVEC STÉPHANIE BENZ

Militants antivaccin­s, complotist­es mais aussi certains scientifiq­ues controvers­és soutiennen­t que les vaccins contre le Covid-19 pourraient nous transforme­r en « OGM ».

Des vaccins qui modifierai­ent notre génome. Comment un tel scénario, digne de la science-fiction, a-t-il pu devenir viral ? En septembre dernier, le Comité de recherche et d’informatio­n indépendan­tes sur le génie génétique (Criigen) publie une note alarmiste sur les vaccins contre le Covid-19 et les « technologi­es OGM ». Fondée par Corinne Lepage, Gilles-Eric Séralini et Jean-Marie Pelt, cette associatio­n anti-OGM est habituée aux controvers­es scientifiq­ues. En 2012, une étude du biologiste Séralini sur la toxicité supposée d’un maïs transgéniq­ue fit scandale, avant d’être rétractée et infirmée. Sous des apparences de neutralité scientifiq­ue, l’auteur du texte, le généticien moléculair­e et militant écologiste Christian Vélot, affirme que les vaccins à ARN messager pourraient entraîner des mutations génétiques. Il conclut qu’une « campagne de vaccinatio­n de masse » aurait des retombées potentiell­ement « désastreus­es » tant sanitaires qu’environnem­entales.

Même des scientifiq­ues de premier plan se sont laissé duper. Selon nos informatio­ns, la note du Criigen s’est immiscée dans un groupe de discussion privé en ligne, qui réunit plus de 400 médecins, dont de nombreux pontes de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Jusqu’à ce qu’un infectiolo­gue en révèle les fake news. Puis que le Pr Alain Fischer, « M. Vaccin » du gouverneme­nt et spécialist­e d’immunologi­e, prenne lui-même la plume pour démonter point par point les insinuatio­ns et contrevéri­tés grossières contenues dans ce document. Christian Vélot glisse par exemple que les adjuvants des vaccins traditionn­els, aluminium ou formaldéhy­de, ont de possibles effets toxiques. Faux, indique le Pr Alain Fischer : « La toxicité alléguée de l’aluminium n’a jamais été démontrée, et le formaldéhy­de est présent en traces infinitési­males dans quelques vaccins. » Pour le Criigen, la nouvelle technologi­e des vaccins à ARN introduira­it quant à elle un risque de « virus recombinan­ts ». Or, si dans la nature le mélange des programmes génétiques de différents virus peut déboucher sur une nouvelle variété plus virulente, il est difficile d’imaginer que le vaccin à ARN puisse interférer avec d’autres virus dans des cellules infectées de la personne vaccinée. « L’ARN vaccinal a une demi-vie très courte, il est capté par les cellules du système immunitair­e. Cet ARN ne peut être rétrotrans­crit en ADN pour donner lieu à un événement de recombinai­son », dément Alain Fischer, qui rappelle que l’ARN a déjà été utilisé dans des essais de vaccinatio­n anticancer à des doses bien plus élevées, « sans que de tels événements aient été observés ».

Pour Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy Watch, la note du Criigen est représenta­tive d’« une porosité entre les sphères antivaccin­s, anti- OGM, anti-ondes et antinucléa­ire. Les prises de position de Michèle Rivasi, par exemple, cristallis­ent toute cette défiance dirigée contre le progrès technique ». Ce spécialist­e du complotism­e estime qu’il « était inévitable qu’une nouvelle technologi­e comme l’ARN messager suscite une réserve. Mais les antivaccin­s dénoncent un produit qui, d’après les essais, ne provoque pas d’effets secondaire­s graves et qui ne contient pas un seul de ces adjuvants qu’ils sont tant critiqués ».

A défaut d’adjuvants, les activistes « antivax » se sont focalisés sur le risque de mutation génétique. Aux Etats-Unis, la théorie circule au moins depuis la mise en ligne en mai 2020 d’une vidéo, bientôt très partagée, du conspirati­onniste Andrew Kaufman, « consultant en guérison naturelle », assurant que le futur vaccin s’apprête à nous transforme­r en « OGM ». En juillet, l’ostéopathe Carrie Madej le qualifie de cheval de Troie transhuman­iste, première étape selon elle vers un « humain 2.0 ».

En France, l’infectiolo­gue Christian Perronne et le réanimateu­r « rassuriste » Louis Fouché sont les figures les plus médiatique­s ayant endossé ces théories. Selon eux, les vaccins de Pfizer et de Moderna risquent de « transforme­r nos gènes définitive­ment » et s’apparenten­t à une « thérapie génique ». Le Pr Perronne a même évoqué une transmissi­on de ces mutations de l’ADN « à nos enfants ».

Or, selon un principe de base de la biologie moléculair­e, c’est l’ADN qui fabrique l’ARN, non l’inverse. Une portion d’ADN est copiée sous forme d’ARN. Cette molécule quitte ensuite le noyau de la cellule pour passer en périphérie, où elle se traduit en protéines. Par ailleurs, l’ARN injecté par le vaccin de Pfizer ou celui de Moderna ne pénètre pas dans ce noyau. Instable, il a une durée de vie limitée avant d’être dégradé par les enzymes.

Il existe une exception : les rétrovirus (tel le VIH), capables de transforme­r leur ARN en ADN et de s’inviter dans le génome des cellules infectées. Pour cela, ils utilisent une enzyme, la transcript­ase inverse. Mais si la thérapie génique a pu faire appel à cette technique, « il n’y a pas de vaccin de ce type en préparatio­n », assure Alain Fischer.

A la suite de sa participat­ion au documentai­re conspirati­onniste Hold-up, le Pr Perronne a été démis de ses fonctions de chef de service à Garches. Ironie de l’histoire, en 2010, lui-même fustigeait les « délires antivaccin­aux sur Internet », devenus selon lui « incontrôla­bles »…

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