L'Express (France)

La géothermie profonde touche le fond

Après une série de séismes en Alsace, plusieurs projets de centrales sont sur la sellette. Un coup dur pour une filière qui comptait jouer un rôle majeur dans la transition énergétiqu­e.

- PAR VALENTIN EHKIRCH

Al’aube de cette nouvelle année, un vent frais a emporté les dernières vapeurs blanches de la centrale géothermiq­ue de Vendenheim, située à une dizaine de kilomètres du centre de Strasbourg. Depuis le 3 janvier, l’imposante structure, tout en tubulures chromées, cheminées et foreuses géantes, est à l’arrêt, contrainte à la fermeture définitive par la préfecture du Bas-Rhin. Un coup dur pour le groupe Fonroche, qui espérait mettre en service à la fin de 2021 la première centrale de géothermie française produisant à la fois de l’électricit­é et de la chaleur, avant d’en lancer trois autres autour de la capitale alsacienne. C’était compter sans le feu nourri des critiques qui s’est abattu sur ses activités de forage. Depuis plus d’un an, le sol tremble dans la région. Régulièrem­ent. Le 4 décembre dernier, à 7 heures du matin, un séisme de magnitude 3,7 sur l’échelle de Richter a même été ressenti dans une bonne partie du Bas-Rhin, réveillant les habitants et l’inquiétude des autorités.

La technologi­e géothermiq­ue consiste à utiliser l’eau chaude contenue dans le sous-sol pour produire de l’électricit­é et de la chaleur. Pour parvenir à cette « cogénérati­on » , les forages doivent être extrêmemen­t profonds, souvent au-delà de 4 000 mètres. Le problème, c’est qu’à une telle profondeur, le sous-sol est très difficile à étudier, et les risques de provoquer des séismes s’accroissen­t.

Si le lien entre les tremblemen­ts ressentis ces dernières semaines et les forages de Fonroche n’est pas scientifiq­uement établi, la société est dans le collimateu­r des autorités. Selon la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, la profondeur et la pression exercée par ces forages auraient été supérieure­s à celles autorisées. « Le séisme ne s’est pas produit par l’opération du Saint-Esprit, mais par l’activité de l’entreprise, et c’est une faute », résumait-elle lors d’une conférence de presse fin décembre.

« Un séisme de magnitude supérieure à 3, ce n’était pas prévu, même dans nos pires scénarios, c’est la première fois que l’on voit une sismicité aussi forte », constate amèrement Jean-Philippe Soulé, directeur de la branche géothermie chez Fonroche, qui réfute néanmoins tout dépassemen­t de seuil dans les contrainte­s de forage.

Dans l’attente de trouver des explicatio­ns aux tremblemen­ts de terre, le développem­ent de trois autres centrales sur le territoire de l’Eurométrop­ole de Strasbourg a été suspendu. Autant de projets qui devaient aider la région à atteindre l’objectif de 100 % d’énergie renouvelab­le en 2050. Les élus de la vitrine historique de la géothermie française accusent le coup : « Politiquem­ent et dans l’opinion, c’est quand même très compromis. Avec un séisme aussi fort dans la plaine d’Alsace, on peut se dire que le lien de confiance dans cette technologi­e est rompu », souffle Marc Hoffsess, responsabl­e de la transition énergétiqu­e à Eurométrop­ole. Georges Schuler, le maire de la commune de Reichstett, la plus proche du site de Vendenheim est, pour sa part, amer : « Je crois que l’on s’est grillé avec la géothermie. »

Comme une onde de choc, les tressaille­ments de Fonroche en Alsace se sont propagés à l’ensemble du territoire. Loin de Strasbourg, l’entreprise devait développer à Valence, dans la Drôme, une centrale géothermiq­ue pour alimenter un réseau de chaleur existant. Après le séisme de décembre, il n’en est définitive­ment plus question. « Les échos qui nous arrivent de Vendenheim nous alertent, cet industriel n’a pas consolidé cette technologi­e et, tant que cela ne sera pas sûr à 100 %, on ne

bougera pas sur le sujet », affirme le maire de Valence, Nicolas Daragon. Car c’est bien cette méconnaiss­ance technologi­que qui inquiète. Les séismes récents « montrent que les éléments dont nous disposons ne sont pas suffisants pour comprendre ce qui se passe quand on fait des forages aussi profonds », soulignait fin décembre Hervé Vanlaer, directeur de l’environnem­ent, de l’aménagemen­t et du logement de la région Grand Est. Pour de nombreux spécialist­es, si l’événement de décembre risque d’enterrer la technique visant à produire de l’électricit­é, cela ne remet pas en question l’ensemble de la filière. « Vendenheim est assez catastroph­ique en termes d’image, mais je ne pense pas que cela soit définitif », tempère Jean-Jacques Graff, président de l’Associatio­n française des profession­nels de la géothermie. Pierre Brossollet, patron d’Arverne, une entreprise nouvelleme­nt arrivée sur ce secteur, s’en fait l’écho : « La production d’électricit­é par géothermie est une voie sans issue, admet-il. C’est pourquoi nous avons décidé de ne développer que des projets de fabricatio­n de chaleur. » Fonroche, de son côté, soutient que les projets lancés à Valence et à Eckbolshei­m (Bas-Rhin) « tiennent toujours », et n’entend pas faire une croix sur la production d’électricit­é. « Nos programmes sont retardés aujourd’hui et on ne va pas s’engager ailleurs tant que l’on ne sait pas ce qu’il s’est passé à Vendenheim, concède Jean-Philippe Soulé. Il faut trouver les réponses dans le sol, et ces résultats, nous les appliquero­ns à tous nos projets. » Reste que l’entreprise devra absorber l’échec de Vendenheim : 100 millions d’euros d’investisse­ments, auxquels s’ajouteront les frais de remise en état du terrain et la nécessaire reconquête de l’opinion sur le sujet. « C’est une énergie fabuleuse et, si on veut tenir les engagement­s sur le renouvelab­le, il n’y a pas beaucoup d’autres options », martèle le patron de Fonroche Géothermie. Pour les régions à fort potentiel géothermiq­ue, cette technologi­e devrait en effet garder un avantage important face à des énergies renouvelab­les affaiblies par leur intermitte­nce, tels le photovolta­ïque ou l’éolien. « C’est le moment de s’arrêter, de réfléchir afin de savoir quelle orientatio­n donner à cette technologi­e qui sera indispensa­ble pour réduire nos émissions de CO2 », insiste Jean-Jacques Graff. Une relance qui passera par la reconquête de la confiance des élus et des population­s.

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