L'Express (France)

Dans la mêlée Doit-on laisser les réseaux sociaux faire « la police » eux-mêmes ?

Après les événements du Capitole, Twitter, Facebook et toutes les plateforme­s ont « débranché » Donald Trump. Sage décision ou abus de pouvoir d’acteurs privés ? Débat.

- PAR SÉBASTIEN SORIANO

OUI / « UN RÉSEAU SOCIAL EST UN CLUB QUI PEUT EXCLURE CERTAINS MEMBRES »

C’est bien parce que le 45e président des Etats-Unis avait fait du réseau social son principal porte-voix que la décision de lui couper le sifflet frappe tant les esprits. La presse et les médias traditionn­els peuvent redresser la tête, eux que le président tonitruant s’est obstiné à malmener et à contourner. En voulant affaiblir un contre-pouvoir central de la démocratie, il en a armé un autre. Le mépris opposé par Trump aux milliers de rédactions, aux centaines de milliers de journalist­es à travers le globe, a conduit à conférer à un seul homme, Jack Dorsey, fondateur de Twitter, la faculté de le faire taire.

Un réseau social n’est jamais qu’un club qui peut exclure certains de ses membres – l’intéressé avait déjà reçu plusieurs avertissem­ents. En mettant tous ses oeufs dans le même panier, l’oiseau Trump a scié sa propre branche. Faut-il pour autant laisser Twitter, Google et consorts régir l’espace public ? Le problème n’est pas tant lié à la liberté d’expression qu’à l’absence de concurrent­s face à cette poignée de mégamonopo­les contrôlant toutes les portes d’entrée à Internet, où règne la loi du plus fort.

Lorsqu’il ouvrit la voie au démantèlem­ent de la Standard Oil, mastodonte pétrolier de Rockefelle­r, John Sherman, père de l’antitrust américain, disait voilà un siècle : « Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. »

C’est ce refus du monopole qui doit animer l’Europe dans ses travaux actuels pour bâtir les régulation­s de demain. Non aux fins de transférer aux Etats la possibilit­é de décider à la place des Gafa (Google, Amazon Facebook, Apple). Mais en redonnant aux entreprene­urs, aux communauté­s du logiciel libre, aux citoyens, les moyens de construire un monde numérique en partage.

Sébastien Soriano est le directeur général d’IGN France et l’ex-président de l’Arcep, le gendarme des télécommun­ications. Il est l’auteur d’Un avenir pour le service public (Odile Jacob, 2020).

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