Dans la mêlée Doit-on laisser les réseaux sociaux faire « la police » eux-mêmes ?
Après les événements du Capitole, Twitter, Facebook et toutes les plateformes ont « débranché » Donald Trump. Sage décision ou abus de pouvoir d’acteurs privés ? Débat.
OUI / « UN RÉSEAU SOCIAL EST UN CLUB QUI PEUT EXCLURE CERTAINS MEMBRES »
C’est bien parce que le 45e président des Etats-Unis avait fait du réseau social son principal porte-voix que la décision de lui couper le sifflet frappe tant les esprits. La presse et les médias traditionnels peuvent redresser la tête, eux que le président tonitruant s’est obstiné à malmener et à contourner. En voulant affaiblir un contre-pouvoir central de la démocratie, il en a armé un autre. Le mépris opposé par Trump aux milliers de rédactions, aux centaines de milliers de journalistes à travers le globe, a conduit à conférer à un seul homme, Jack Dorsey, fondateur de Twitter, la faculté de le faire taire.
Un réseau social n’est jamais qu’un club qui peut exclure certains de ses membres – l’intéressé avait déjà reçu plusieurs avertissements. En mettant tous ses oeufs dans le même panier, l’oiseau Trump a scié sa propre branche. Faut-il pour autant laisser Twitter, Google et consorts régir l’espace public ? Le problème n’est pas tant lié à la liberté d’expression qu’à l’absence de concurrents face à cette poignée de mégamonopoles contrôlant toutes les portes d’entrée à Internet, où règne la loi du plus fort.
Lorsqu’il ouvrit la voie au démantèlement de la Standard Oil, mastodonte pétrolier de Rockefeller, John Sherman, père de l’antitrust américain, disait voilà un siècle : « Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. »
C’est ce refus du monopole qui doit animer l’Europe dans ses travaux actuels pour bâtir les régulations de demain. Non aux fins de transférer aux Etats la possibilité de décider à la place des Gafa (Google, Amazon Facebook, Apple). Mais en redonnant aux entrepreneurs, aux communautés du logiciel libre, aux citoyens, les moyens de construire un monde numérique en partage.
Sébastien Soriano est le directeur général d’IGN France et l’ex-président de l’Arcep, le gendarme des télécommunications. Il est l’auteur d’Un avenir pour le service public (Odile Jacob, 2020).