Etats-Unis Les élus républicains otages de Donald Trump
Malgré la défaite, la droite ne peut se libérer du président sortant. Adulé par sa base complotiste, celui-ci alimente la haine à l’égard des parlementaires jugés déloyaux.
Alors qu’une foule en colère envahit le Capitole, le 6 janvier, une poignée de manifestants installe dehors, un peu à l’écart, une potence dotée d’un noeud coulant afin de « pendre Mike Pence et les traîtres républicains ». Heureusement, ce projet ne se concrétisera pas. Mais la haine envers les élus de droite accusés de lâcher Donald Trump « contre la volonté du peuple » est chevillée au corps. « Le Parti républicain, c’est fini, estime ce jour-là Chad Nelson, un Texan de 50 ans, coiffé d’un chapeau « Team Trump », venu dire sa colère à Washington. Ces élus sont là depuis quarante ans et ils n’ont rien fait pour le peuple. Ils acceptent sans broncher le vol de notre élection. Et ils pensent qu’on restera les bras croisés à ne rien faire ? Non ! Ils vont tout perdre, on va s’occuper d’eux. » Au sein du Parti républicain, l’envahissement du Capitole a provoqué la fureur – et la peur – de nombreux cadres. Et fracturé la droite. Dix députés du Grand Old Party (GOP) se sont joints aux démocrates pour voter le deuxième impeachment du président sortant, accusé d’incitation à l’insurrection. N° 3 du parti à la Chambre des représentants, Liz Cheney dénonce même « la plus grande trahison de l’Histoire de la part d’un président américain ». « Sommé de choisir entre deux loyautés, envers la démocratie ou envers Donald Trump, le GOP vit une déchirure historique », résume Joe Lowndes, professeur de sciences politiques à l’université de l’Oregon. Or, à ce stade, rien ne dit que Donald Trump, malgré l’attaque contre le symbole des institutions américaines et cette nouvelle procédure d’impeachment, soit fini. Selon une étude de l’institut Morning Consult, 3 électeurs républicains sur 4 continuent d’approuver son action, et seulement 19 % reconnaissent Joe Biden comme président légitime. « Le Parti républicain est devenu celui de Trump, estime Laurel Harbridge-Yong, politologue de l’université Northwestern (Illinois) et spécialiste de la droite américaine. C’est lui seul qui a défini ces dernières années toutes ses positions : sur le commerce, les impôts, les dépenses fédérales, la stratégie face au Covid-19, les relations internationales. » Surtout, fort de ses 74 millions d’électeurs, l’ex-président reste en position de faiseur de rois avant les élections de mi-mandat qui auront lieu dans les 50 Etats du pays en 2022 pour renouveler les députés et une partie des sénateurs. Ce capital politique terrifie les élus de son camp, qui savent qu’au moindre signe de déloyauté ils se retrouveront face à un candidat trumpiste lors des primaires. En Arizona, la branche locale du GOP, conquise par des militants pro-Trump, tente déjà de faire tomber le gouverneur (républicain) de l’Etat, coupable à leurs yeux de ne pas soutenir la thèse de la fraude électorale massive. Menacés par leurs propres électeurs, 147 députés et sénateurs du GOP ont refusé de valider les résultats de la présidentielle le 6 janvier. Une première dans l’histoire de la démocratie américaine. « L’aile proTrump du parti attaque de façon très agressive les normes démocratiques, constate le politologue Joe Lowndes. Ses élus n’hésitent plus à violer la Constitution ou à appeler à la violence. Trump donne le ton et les parlementaires suivent le mouvement. » Aucun changement de ligne n’est cependant à attendre du comité national
républicain, l’instance dirigeante du parti. Aux commandes depuis 2017, la trumpiste Ronna McDaniel a été reconduite dans ses fonctions au début de janvier. Et cela malgré la triple défaite électorale, à la Chambre des représentants, au Sénat et à la MaisonBlanche. « Au vu de son piètre bilan, sa réélection témoigne du déni de réalité qui règne au sein du GOP, avance Laurel Harbridge-Yong. Pour expliquer la déroute de 2020, deux récits circulent : le premier assure que Trump a été avant tout victime de la pandémie, qui rendait toute victoire impossible. Le second est celui de la fraude électorale massive. Dans les deux cas, le parti ne s’estime pas responsable de la défaite et ne voit donc aucune raison de changer de ligne politique. » Pour l’heure, il n’existe de toute façon aucun leader susceptible d’incarner une alternative au trumpisme. En revanche, de nouveaux dirigeants extrémistes s’affichent sans le moindre complexe, à commencer par Marjorie Taylor Greene, députée républicaine de Géorgie. Elue en novembre dernier, cette adepte du mouvement complotiste QAnon
Pour l’heure, il n’existe aucun responsable pour incarner une alternative au trumpisme
a débarqué à Washington avec un discours radical et une haine affichée pour ses collègues. De son côté, Lauren Boebert, nouvelle élue du Colorado, réclame le droit de porter une arme au sein du Congrès afin de… se « défendre contre les communistes » ! Au matin du 6 janvier, elle tweetait : « Aujourd’hui, c’est 1776 », en référence à la révolution américaine contre les forces britanniques. Et d’indiquer en direct, pendant l’attaque du Capitole, l’endroit où se trouvait la leader démocrate Nancy Pelosi dans l’enceinte du bâtiment… L’aile modérée du GOP redoute déjà les ambitions de ces étoiles montantes. Dès 2022, en effet, Lauren Boebert et Marjorie Taylor Greene pourraient devenir sénatrices dans le Colorado et la Géorgie, respectivement. Le parti d’Abraham Lincoln et de Theodore Roosevelt saura alors s’il reste durablement celui de Donald Trump.