L'Express (France)

Népal Sur le Toit du monde, l’interminab­le « lutte finale »

Le Premier ministre vient de dissoudre la Chambre des députés, provoquant une énième crise sur fond de rivalité fratricide entre marxistes et maoïstes. Sous les yeux de la Chine et de l’Inde.

- PAR RESHMA MATHIAS (BOMBAY)

Paradis des randonneur­s en quête de paysages grandioses, le Népal est aussi un pays à l’histoire agitée. Il y a presque vingt ans, en juin 2001, son roi, Birendra, et neuf membres de sa famille sont assassinés, lors d’un dîner au palais royal de Katmandou, par le prince héritier Dipendra – qui retourne ensuite l’arme à feu contre lui. Sept ans plus tard, en mai 2008, la monarchie tombe sous les coups de boutoir des communiste­s. Depuis, le petit Etat himalayen coincé entre la Chine et l’Inde souffre d’une instabilit­é chronique, avec des gouverneme­nts incapables de se maintenir. En cause, la guerre surréalist­e que se livrent les maoïstes et les marxistesl­éninistes sur le Toit du monde. Le 20 décembre, après deux ans et dix mois à la tête de l’exécutif (un record), le Premier ministre, Khadga Prasad Sharma Oli, a soudaineme­nt annoncé la dissolutio­n de la Chambre des représenta­nts et l’organisati­on d’élections législativ­es anticipées, les 30 avril et 10 mai prochains. Chef du camp marxiste, le dirigeant est en conflit ouvert avec le leader maoïste Pushpa Kamal Dahal – surnommé « Prachanda » (« le Féroce ») –, l’homme à l’origine d’une insurrecti­on qui a déchiré le Népal de 1996 à 2006. Il a, comme K. P. Sharma Oli, déjà été nommé Premier ministre deux fois. Les deux frères ennemis n’en sont pas à leur premier accrochage. En 2016, Prachanda avait poussé poussé Oli, alors chef du gouverneme­nt, à démissionn­er et avait pris sa place, en vertu d’un accord tacite de partage du pouvoir entre communiste­s à mimandat, que le dirigeant marxiste refusait de respecter. C’est précisémen­t pour éviter de devoir de nouveau quitter ses fonctions que ce dernier a renvoyé chez eux les députés. Un coup d’Etat », dénoncent ses opposants. Au printemps 2018, les deux rivaux avaient pourtant semblé signer une trêve en fusionnant leurs formations respective­s pour donner naissance à un nouveau Parti communiste népalais (PCN). L’alliance ne va pas de soi. « Chez nous, les marxistes sont réformiste­s, ils croient aux droits de l’homme et s’efforcent de suivre les règles démocratiq­ues pour arriver au pouvoir. Les maoïstes, eux, sont révolution­naires et ont renoncé il y a une dizaine d’années seulement à l’instaurati­on de la dictature du prolétaria­t », explique Uma Baral, professeur de sciences politiques à l’université Tribhuvan de Pokhara, ville bien connue des alpinistes partant à l’assaut de l’Annapurna. En réalité, ce n’est pas tant l’idéologie qui les sépare, qu’un désaccord profond sur la sphère d’influence à laquelle ils veulent appartenir : celle de la Chine ou de l’Inde – les deux géants asiatiques prenant en étau ce pays de 29 millions d’habitants. Et là, surprise : malgré le grand écart idéologiqu­e, les maoïstes jouent la carte de New Delhi, où gouverne le parti de droite nationalis­te de Narendra Modi, tandis que les marxistes sont plus proches de Pékin. « La Chine considère que les marxistes incarnent mieux un Népal fort, à même de stabiliser sa frontière avec le Tibet. L’Inde, de son côté, souhaite continuer à contrôler les ressources naturelles du pays, l’eau en particulie­r, en favorisant en sousmain l’instabilit­é politique chère aux maoïstes », analyse Uma Baral. Il y a exactement cinq ans, New Delhi était allé jusqu’à organiser un blocus du Népal durant cinq mois, dans l’objectif de soutenir les revendicat­ions autonomist­es des minorités indiennes vivant au pied de l’Himalaya. « Cela a aggravé la crise humanitair­e résultant des terribles tremblemen­ts de terre du printemps 2015 et a renforcé la tentation des marxistes de se jeter dans les bras de la Chine », souligne l’universita­ire. « Depuis, Pékin s’est engagé à construire des infrastruc­tures alors que New Delhi, pour tenter de maintenir son emprise, soutient ouvertemen­t Prachanda », observe Subin Mulmi, chercheur en politiques publiques à Katmandou. La Chine, qui déteste l’instabilit­é, voit la dissolutio­n de la Chambre des représenta­nts d’un très mauvais oeil, selon les médias locaux. Quant à l’Inde, qui s’accommoder­ait fort bien d’un pays divisé, elle est soupçonnée de tout faire pour pousser les marxistes et les maoïstes à divorcer, après trois ans d’un mariage houleux.

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Une vague de protestati­ons a suivi l’annonce d’élections anticipées.

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