L'Express (France)

Les clefs du pouvoir Le danger du président banal, par François Bazin

Pour la dernière année de son quinquenna­t, le chef de l’Etat souhaite prouver son efficacité. Un voeu pieu ?

- François Bazin François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

Grâce soit rendue à Amélie de Montchalin, ministre de second rang, mais communican­te émérite, sans laquelle les Français ignoreraie­nt que le plan vélo, lancé par le gouverneme­nt en mai dernier, a été mis en place dans une proportion de 64 %. Des « baromètres » de ce genre, d’une précision toute technocrat­ique, censés montrer « la transforma­tion » effective du pays sous l’ère Macron, l’intéressée en a plein les poches. Elle vient d’en faire une première livraison avec une fierté non dissimulée. On peut sans doute en sourire. On peut aussi y voir la preuve qu’à quinze mois de la fin du mandat du président de la République, c’est dans le détail que ce dernier entend dresser le bilan de son action à l’Elysée.

Des ressorts gravement détendus

S’il ne le fait pas lui-même, d’autres le feront à sa place – et avec une moindre bienveilla­nce. L’exercice, pour être classique de la part d’un pouvoir finissant et qui aspire à sa reconducti­on, s’inscrit dans une séquence où le message officiel est pourtant l’inverse de celui que l’on constate. Le président, paraît-il, bout d’impatience. Il veut que la dernière année de son quinquenna­t soit « utile », et, pour cela, il jure qu’avec lui, en dépit du Covid et du brouillard qui encombre l’horizon, le train de la réforme ne faiblira pas. Ce sont là des mots qui sonnent bien à l’oreille, et viennent rappeler que, dans le « nouveau monde », « les fainéants » ne sont pas bienvenus. Mais, en réalité, tout indique que si les intentions sont intactes, les ressorts du changement, eux, sont désormais gravement détendus… Et c’est donc pour prouver, coûte que coûte, sa cohérence et, partant, son efficacité que le pouvoir macronien insiste tant – et insistera de plus en plus, aussi longtemps que l’heure de la campagne n’aura pas officielle­ment sonné – sur le bilan de la politique menée depuis 2017. Le plus probable est qu’il se lance aujourd’hui dans cette opération avec le sentiment qu’une relecture du passé, conduite à sa main, est le seul moyen qui lui reste de tenir le fil d’un récit suffisamme­nt probant pour, demain, être prolongé de cinq années.

Une énergie sans frein

Le risque est de devoir en rester là. « On ne gagne pas une élection sur un bilan, aussi bon soit-il », répètent en boucle les porte-parole de la présidence. Sans doute... Mais tant qu’à enfoncer des portes ouvertes, on peut aussi se demander si la qualité dudit bilan ne pèse vraiment en rien sur le résultat de la prochaine élection. Plus sérieuseme­nt, s’agissant d’Emmanuel Macron, la vraie question est de savoir si son identité peut être préservée dès lors que ce qui essentiell­ement la fonde s’appuie sur son action passée et non sur un projet à venir. Le macronisme est d’abord et avant tout « une force qui va ». C’est son élan qui l’identifie, bien plus en tout cas que son contenu véritable, lequel, en outre, est à géométrie variable. Il y a donc quelque chose de contradict­oire de la part du président, à vouloir à la fois rester lui-même, c’est-à-dire porteur d’une énergie sans frein, et faire reposer cette démonstrat­ion sur la promotion, nécessaire­ment conservatr­ice, d’un bilan au demeurant contrasté. La difficulté qu’il rencontre aujourd’hui et qui, visiblemen­t, l’agace au plus haut point, est tout entière dans cette contradict­ion qu’il n’a pas les moyens de lever. C’est dans la défense de son action passée qu’il trouve la dernière ressource de sa résistance, et le moins que l’on puisse dire est que celle-ci tend à l’aspirer parce qu’il n’a pas d’autres choix, vu l’ampleur des obstacles qui, aujourd’hui, s’accumulent.

Bilan, mon beau bilan !

Mais, ce faisant, ne s’enferme-t-il pas, fût-ce à son corps défendant, dans le rôle d’un président banal, dont l’unique ambition, malgré ces déclaratio­ns d’intentions, semble être de vanter ce qui a été engagé plutôt que de poursuivre « la transforma­tion » annoncée ? Cette banalisati­on du macronisme, qui est la négation même de son projet originel, est d’autant plus périlleuse qu’elle ne semble pas être le seul fait d’une fatigue d’un pouvoir installé. Sans doute celui-ci a-t-il affronté trop d’épreuves majeures depuis quelques années pour que son dispositif, trop concentré pour n’être pas fragile, n’ait pas perdu une large part de sa puissance de propulsion. Sans doute également la crise sanitaire qui n’en finit pas, même avec l’arrivée du vaccin, l’empêche-t-elle de tracer des perspectiv­es autres que de préservati­ons minimales. Mais, au-delà, ce qui frappe le plus dans cette période d’entre-deux, c’est que par la force des choses, le pouvoir macronien se laisse en fait entraîner sur un terrain privé d’un véritable horizon – bilan, mon beau bilan ! – dont il a toujours prétendu que c’était celui du plat enlisement, et donc, au bout du compte, de l’échec assuré.

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