Gagner plus, enjeu moral, enjeu vital, par Nicolas Bouzou
Face à l’urgence sociale, une augmentation massive de la prime d’activité doit être envisagée.
On entend depuis le début de la crise que les métiers les plus utiles à notre société ne sont pas les mieux payés. Il est vrai que l’on a davantage besoin d’un agent d’entretien, d’un infirmier ou d’un caissier que d’un footballeur. Mais poser la question exclusivement sous l’angle moral est insuffisant. Le supermarché situé près de mon bureau propose une portion de poulet rôti avec pommes de terre à 3 euros. La question pertinente est celle-ci : comment, avec ces 3 euros, rémunérer l’Etat, la Sécurité sociale, l’éleveur, le propriétaire des locaux, la banque, la logistique et le personnel du supermarché, tout en laissant un peu de profit pour investir ? La plupart de mes concitoyens me répondront : en diminuant les dividendes. Pas de chance, mon supermarché appartient à une structure coopérative. Il n’a pas d’actionnaires.
Trois cafés pour une heure de travail
Le problème est souvent mal formulé mais la question sous-tendue est légitime. En effet, dans notre pays, les salaires sont bas. Le smic horaire est à 10,25 euros brut, 8 euros net. Pour une heure de travail, un smicard français peut se payer trois cafés dans une métropole. C’est moralement inacceptable, surtout quand on connaît le prix des logements dans nos grandes villes, là où sont concentrés les emplois. Rappelons simplement qu’en France, la rétribution minimum représente 60 % du salaire médian, contre 35 à 50 % dans la plupart des pays riches. Le partage entre salaires et profits est stable, contrairement à ce que l’on voit dans les pays anglo-saxons. Enfin, depuis dix ans, la productivité croît annuellement de moins de 1 %. Augmenter le smic de plus de 10 centimes, c’est amplifier le chômage. C’est horrible, mais c’est la réalité. Evidemment, si le client acceptait d’acheter son poulet 5 euros et non plus 3, une partie du problème serait résolue. Mais il n’y est pas prêt, surtout en période de crise. Il a le coeur à gauche mais l’acte d’achat à droite. Une solution plus réaliste consiste à subventionner les entreprises pour compenser les effets d’une hausse des salaires. C’est déjà largement le cas puisque, au niveau du smic, les employeurs ne paient quasiment pas de cotisations patronales. C’est donc l’Etat qui subventionne les retraites, la santé et le chômage. Pour aller plus loin, il faudrait passer à des « cotisations négatives » – les pouvoirs publics verseraient de l’argent aux entreprises. Mais ce serait politiquement explosif et malsain, puisque cela n’inciterait pas à augmenter les salaires.
L’enjeu clef de la formation
Le fond du problème réside dans la productivité. Il est une réalité douloureuse à entendre : les salariés français sont sous-qualifiés au regard de nos légitimes ambitions sociales. L’évaluation des compétences des adultes de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) place nos concitoyens au rang de ceux ayant les compétences les plus basses. Pis : ces dernières se dégradent plus vite au cours de la vie active que dans les autres pays, ce qui explique les difficultés rencontrées par les jeunes seniors sur le marché du travail. Notre système de formation professionnelle, bien qu’il s’améliore, ne fonctionne pas encore de façon optimale. Les salariés n’utilisent pas assez leur compte personnel de formation, surtout quand ils sont peu qualifiés et travaillent dans de petites entreprises, parce qu’ils ne connaissent pas son existence ! Combien savent qu’ils disposent d’un tel outil et d’argent pour l’utiliser ? Le ministère du Travail devrait communiquer beaucoup plus sur cette possibilité. Les chômeurs sont aussi en déficit de formation, conséquence d’une articulation insatisfaisante entre Pôle emploi et France compétences (l’instance de régulation et de financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage). Une meilleure coopération (voire un rapprochement) entre ces deux structures devrait être sérieusement envisagée.
Agir au plus vite
Former les gens peu qualifiés et peu payés pour qu’ils évoluent au sein des entreprises n’est pas une chimère. Dans la grande distribution, par exemple, il existe de nombreux exemples de caissiers qui sont devenus des commerciaux à succès. Leurs conditions matérielles en ont été transformées. Mais, pour agir rapidement, je ne vois pas d’autre solution que d’augmenter massivement la prime d’activité. Evidemment, tout le monde préfère percevoir un salaire plutôt qu’une aide de l’Etat, mais il y a dans notre pays une urgence sociale. Ceux qui travaillent doivent gagner suffisamment d’argent, d’où qu’il provienne, pour ne pas passer leur vie à ramer.