Notre constellation de satellites, par Stefan Barensky
Comme les Etats-Unis et la Chine, l’Europe doit pouvoir garantir sa souveraineté en matière de haut débit.
L’Europe va développer sa propre constellation de satellites. Il ne s’agit pas de faire un concours d’ego avec Elon Musk et son programme Starlink, en cours de déploiement, ou avec Jeff Bezos et son projet Kuiper, ni même de faire la nique aux Britanniques, qui ont racheté OneWeb. Ce n’est même pas du suivisme. Derrière cette ambition portée par Thierry Breton, commissaire européen, il y a une froide analyse des réalités du monde numérique à venir et des intérêts stratégiques qu’il faut préserver.
Des infrastructures indépendantes
A la veille de Noël, une étude de faisabilité a été confiée à neuf industriels et opérateurs de télécommunications européens, d’Airbus à Orange en passant par Eutelsat et Arianespace. Ils doivent concevoir une infrastructure à base de satellites capable de fournir à l’Europe et à ses citoyens une connexion à très haut débit, sécurisée, mais aussi indépendante des marchés étrangers, principalement américains. La logique qui sous-tend ce dessein est la même que celle qui a présidé à la conception du système de navigation Galileo, aujourd’hui utilisé par plusieurs centaines de millions de personnes sur la planète, qui, pour la plupart, n’ont même pas conscience d’avoir recours à un service par satellite. Lorsque Galileo a été lancé, le GPS américain était déjà opérationnel, et un signal de localisation et de synchronisation était disponible gratuitement. Pourquoi donc investir des milliards d’euros dans une infrastructure européenne équivalente, et donc redondante ? Pour la redondance et la souveraineté justement. Des pans clefs de l’économie européenne dépendaient directement de la disponibilité du signal GPS et, plus particulièrement, de la composante temporelle, comme la synchronisation des cellules des réseaux mobiles ou du cryptage des échanges bancaires. Quelle qu’en soit la raison, politique, économique ou stratégique, voire technique, le Pentagone, seul maître du GPS, pouvait à sa guise – ou malgré lui – mettre l’Europe à genoux, avec un simple interrupteur. Galileo a su éloigner cette menace et consolider au niveau mondial toute l’économie des applications et services fondés sur le signal de localisation et de datation par satellites ; elle est désormais indépendante de Washington.
Une communication sécurisée et résiliente
La future constellation européenne doit faire de même avec la connectivité. Cela fait déjà plusieurs années que l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne étudient un réseau GovSatCom, destiné à assurer aux gouvernements et aux institutions une capacité de communication sécurisée et résiliente. L’importance, depuis quelques années, de l’économie dématérialisée qui s’appuie sur des serveurs déportés – le fameux cloud –, a changé la donne. La pandémie de Covid-19 a renforcé cette tendance en accélérant la numérisation de la société. Pour ne pas se retrouver à la merci de fournisseurs d’outre-Atlantique, comme elle l’a souvent fait dans des domaines cruciaux – comme celui des systèmes d’exploitation de micro-ordinateurs – l’Europe doit se doter d’une infrastructure souveraine. Mais pas question de calquer nos projets sur ceux des Américains, il faut que les nôtres répondent à nos propres besoins. Là où Elon Musk a dimensionné sa constellationpour augmenter la cadence de vol de ses lanceurs Falcon 9, les Européens, eux, vont s’attacher à la qualité et à la sécurité du service.
Vers un cryptage quantique
Pour cela, la constellation ne sera pas basée que sur des satellites sur orbite basse (autour de 600 kilomètres d’altitude), mais sur d’autres moyens, telle l’orbite géostationnaire (36 000 kilomètres). Surtout, elle bénéficiera de technologies où les Européens sont passés maîtres, comme les liaisons intersatellites par laser afin de mailler le réseau, une option qui fait cruellement défaut aux systèmes concurrents actuels. Déjà impossible à intercepter sans que cela soit détecté, contrairement aux transmissions radio, le laser permettra de passer un palier majeur dans la sécurisation des télécommunications en rendant possible les échanges de clefs de cryptage quantiques. Signe que l’initiative répond à un besoin de souveraineté : la Chine avance dans la même direction. Les industriels et opérateurs doivent d’abord faire un point d’étape aux alentours de mars 2021. L’objectif est de livrer des premiers services au début de 2024. La constellation complétera Galileo et Copernicus (programme d’observation de la Terre et du climat) dans l’infrastructure spatiale. Elle affermira aussi le marché des lanceurs européens…C’est un bonus bienvenu.W