NON / « N’OUVRONS PAS LA PORTE À UN RISQUE DE CENSURE ABUSIVE ! »
La censure de Donald Trump par Twitter, Facebook et YouTube est justifiée par les dangers bien réels que représentent ses prises de parole. Mais la suppression des comptes de l’ex-président américain révèle un enjeu plus vaste et plus important : le pouvoir déterminant des grandes plateformes du Web sur le débat public et l’exercice de la liberté d’expression.
Ces géants du Net sont des entreprises privées, qui fournissent à leurs clients un service contractuel ; elles décident de leurs conditions d’utilisation et sanctionnent ceux qui ne les respectent pas. Certes. Mais elles sont aussi devenues en quelques années l’une des premières sources d’information des citoyens, et les principales arènes du débat public en ligne. A ce titre, elles exercent une fonction démocratique et doivent faire l’objet d’une régulation publique.
Ces dernières années, les réseaux sociaux ont été le théâtre de menaces importantes pour les démocraties : propagande djihadiste, désinformation, ingérences étrangères dans les processus électoraux, cyberharcèlement ou discours de haine. Face à ces maux, c’est à la puissance publique qu’il revient de fixer les règles de fonctionnement de ces plateformes, en les incitant à modérer davantage les contenus qu’elles hébergent, tout en contrôlant qu’elles n’abusent pas de leur pouvoir politique.
Eu égard au volume des contenus publiés sur les réseaux (chaque minute, plus de 500 heures de vidéos sont chargées sur YouTube et 350 000 messages sont postés sur Twitter), les plateformes ont recours à des outils de détection automatique des contenus prohibés, qui peuvent induire des erreurs de jugement. Par ailleurs, depuis quelques années, ces grandes firmes assument le fait d’intervenir directement sur les publications en les supprimant ou en bloquant le compte de leurs auteurs, parfois en toute opacité.
En raison des risques de censure abusive que laissent courir ces évolutions, le rôle de l’Etat est aussi de garantir aux citoyens un certain nombre de droits, notamment celui de faire appel des décisions émanant de certaines plateformes, tout en garantissant la transparence des procédures de modération.
Romain Badouard est maître de conférences à l’université Paris-II-PanthéonAssas, et auteur du livre Les Nouvelles Lois du Web. Modération et censure (Le Seuil, 2020).