Dette : et si on effaçait l’ardoise ?
A côté de celui de l’Etat, l’endettement des sociétés s’accroît aussi dangereusement. Un frein majeur à la reprise de l’activité économique une fois la crise sanitaire passée.
La dérive de la dette de l’Etat affole les compteurs Geiger ? Ce n’est rien à côté de celle des entreprises. A court terme, elle est surtout bien plus préoccupante. Avec le plongeon de l’activité et la succession de « stop-and-go » économiques, les impayés s’empilent dans les bilans des sociétés. Aux prêts garantis par l’Etat (PGE) – à la fin décembre 2020, 128 milliards d’euros ont été accordés à près de 650 000 entreprises – s’ajoutent les dettes que les patrons ont contractées auprès de leurs fournisseurs ou de leurs bailleurs, les créances envers le fisc, l’Urssaf… D’après les dernières statistiques de la Banque de France, la dette brute des sociétés non financières a grimpé de 175 milliards d’euros entre février et décembre 2020, contre 65 milliards sur la même période en 2019. Le hic ? Avant la pandémie, l’endettement de nos entreprises était déjà bien plus lourd que celui de leurs concurrentes européennes. Alors que la crise sanitaire s’éternise, le ministre des Finances Bruno Le Maire a confirmé la possibilité de reporter d’une nouvelle année le remboursement des PGE pour toutes les sociétés. Une annonce que certaines banques avaient déjà anticipée. « Dès décembre, nous avons envoyé une première vague de courriers à près de 50 000 clients pour leur proposer cette souplesse» confirme Christine Fabresse, directrice générale Banque de proximité-Assurances du groupe BPCE. Pas certain, cependant, que ce geste soit suffisant. « Pour des questions de réglementation européenne, le remboursement des PGE ne peut pas être étendu au-delà de six ans car on tomberait alors dans le cadre des aides d’Etat prohibées par Bruxelles », pointe Virginie Verfaillie, présidente de l’Association pour le retournement des entreprises. Avec les deux années blanches de 2021 et 2022, les patrons devront donc rembourser leur PGE en quatre ans seulement. Un effort qui risque de couper les ailes de bon nombre d’entre eux, puisque l’argent qui rentrera dans les caisses servira surtout à se désendetter et non pas à embaucher ou à investir. Un récent rapport du Conseil national de la productivité, organisme composé d’une dizaine d’économistes, estime que le surcroît de dette accumulée et la baisse de la productivité (du fait des contraintes persistantes sur leur activité) pourraient engendrer une augmentation d’un quart des défaillances pour les secteurs du commerce les plus touchés sur la période 2021-2022. Pis, cela viendrait en plus du rattrapage des défaillances « normales » qui n’ont pas eu lieu en 2020, de l’ordre de 30 %… La solution : effacer l’ardoise. Une idée pas si folle, qui commence à faire son chemin, même si, officiellement, à Bercy, elle n’est pas sur la table. « On pourrait imaginer une sorte de crédit d’impôt pour les banques ou les créanciers privés qui accepteraient d’annuler une partie des dettes des entreprises les plus acculées, les TPE ou les PME, notamment », explique Philippe Martin, président du Centre d’analyse économique. L’ancien commissaire général à l’investissement, René Ricol, propose, lui, un plan plus radical : effacement des dettes pour les TPE menacées de faillites ; restructuration des emprunts pour les PME et les ETI ; renflouement et montée au capital de l’Etat pour les multinationales en danger ou les entreprises des secteurs stratégiques. Le tout financé par les deniers publics. Une forme de nationalisation temporaire de l’économie. Le « quoi qu’il en coûte » présidentiel a de l’avenir.