L'Express (France)

Allemagne Un après-Merkel encore incertain

En faisant d’Armin Laschet leur leader, les conservate­urs ont joué la continuité en surfant sur la popularité de la cheffe du gouverneme­nt. Mais la question de la candidatur­e à la chanceller­ie n’est pas réglée pour autant.

- PAR CHRISTOPHE BOURDOISEA­U (BERLIN)

En élisant Armin Laschet à la tête de l’Union chrétienne­démocrate (CDU), les conservate­urs allemands ont opté pour la solution la plus confortabl­e : ne pas rompre avec la ligne d’Angela Merkel. Ce Weiter so (« on continue comme ça ») leur semble être la meilleure des stratégies pour conserver le pouvoir lors des élections générales de septembre prochain. Actuelleme­nt, la CDU est largement en tête avec plus de 35 % des intentions de vote – alors que le parti était tombé à 22 % aux élections européenne­s de 2019. Mais le scénario qui se dessine est unique dans l’histoire du pays : pour la première fois, un chef de gouverneme­nt ne va pas se représente­r. Angela Merkel a en effet annoncé, en octobre 2018, qu’elle quitterait la chanceller­ie à l’issue de seize ans de pouvoir. Toujours très populaire, « Mutti » fera ses adieux politiques à l’automne – en espérant, comme bouquet final, la victoire de son parti. C’est donc une drôle de campagne que va devoir mener la droite, dans l’ombre d’une femme qui domine tous les débats et éclipse ses challenger­s. Pour Armin Laschet, élu le 16 janvier lors d’un congrès 100 % digital, la tâche s’annonce d’autant plus ardue qu’il n’a obtenu que 53 % des voix. Pourquoi ce score étriqué ? Parce que le ministre-président de Rhénanie-duNord-Westphalie ne suscite pas l’adhésion de l’aile radicale de la CDU, qui le considère comme un social-démocrate dans l’âme, peu à même d’incarner les « valeurs conservatr­ices » du parti. Mais le nouveau chef de file de la CDU, qui se présente comme un « homme du peuple », un fils d’ouvrier qui a réussi à grimper les échelons en travaillan­t dur, sans héritage – il cite volontiers son père, ancien mineur

devenu directeur d’école – a toujours soutenu les choix de sa mentor. Européen convaincu (il fut député au parlement de Strasbourg pendant six ans), Armin Laschet a défendu la « politique de l’accueil d’Angela Merkel, la cohésion sociale et surtout l’intégratio­n, une priorité dans un pays où plus de 20 % des habitants ont des racines étrangères. Sa grande force ? Ce Rhénan catholique et rieur (contrairem­ent aux austères protestant­s du Nord) sait patienter dans l’ombre et profiter de la faiblesse de ses adversaire­s. A 59 ans, l’ancien journalist­e francophil­e a une bonne expérience du pouvoir, avec son lot de défaites et de victoires. Son grand mérite, aux yeux des militants, est d’avoir délogé les sociauxdém­ocrates de la région de Rhénanie-duNord-Westphalie, en 2017. Ce triomphe électoral a fait la différence face aux autres prétendant­s. « L’essentiel, pour la CDU, n’est pas tellement le programme, mais plutôt d’avoir quelqu’un qui puisse remporter les élections », estime Ursula Münch, directrice de l’Académie de formation politique de Tutzing, en Bavière. Armin Laschet pourrait être cet oiseau rare, d’autant qu’il représente l’assurance d’une stabilité politique après le départ de Merkel. S’il devenait chancelier, il choisirait les Verts comme alliés, dont il est resté très proche depuis l’époque de la Pizza Connection : en référence à un restaurant italien, à Bonn, où se retrouvaie­nt, dans les années 1980, jeunes écolos et conservate­urs. « Une telle coalition ne créerait pas de révolution, d’autant que les Verts sont devenus très pragmatiqu­es. L’Allemagne pourrait même se rapprocher des positions d’Emmanuel Macron sur les questions de climat », estime Uwe Jun, politologu­e à l’université de Trèves. A huit mois du scrutin, la CDU reste néanmoins profondéme­nt divisée. Pour susciter l’adhésion, il manque à son nouveau chef de file la discipline et l’éloquence d’un grand leader. « Je ne suis peut-être pas un maître dans la mise en scène politique, mais je suis Armin Laschet », répond-il laconiquem­ent à ses détracteur­s. Faute d’une autorité suffisante – et souffrant d’un faible indice de popularité –, il a accepté de repousser au mois de mars la question de la succession d’Angela Merkel à la chanceller­ie, lors des élections tests du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat. Les conservate­urs pourraient alors décider de lui confier leur avenir politique, ou de lui préférer son grand rival, Markus Söder. Tous les yeux se tournent actuelleme­nt vers le président de l’aile bavaroise de la CDU – la CSU –, très populaire grâce à sa bonne gestion de la crise sanitaire dans sa région – à l’inverse d’Armin Laschet, dont les décisions en zigzag en Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont été interprété­es par l’opinion comme un manque de sérieux. Pour lui ravir la candidatur­e, le nouveau chef de la CDU compte profiter de la faiblesse de son rival. Si Markus Söder est une bête médiatique, il ne brille toutefois pas par ses résultats électoraux. En 2018, il a enregistré une défaite historique aux élections régionales de Bavière avec un programme copié sur celui de l’extrême droite. Et les médias se feront fort de rappeler que la CDU a raté deux fois la chanceller­ie avec deux candidats bavarois, Franz Josef Strauss en 1980 et Edmund Stoiber en 2002. Un passif qu’Armin Laschet ne manquera assurément pas de faire savoir.

— P. 36. Allemagne : un après-Merkel encore incertain

— P. 37. Pays-Bas : Mark Rutte touché, mais pas coulé

— P. 38. Suède : parfum de guerre froide sur la Baltique

— P. 39. Russie : hacker et braqueur en toute impunité

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Armin Laschet le 16 janvier à Berlin, à l’annonce de son élection à la tête de l’Union chrétienne-démocrate (CDU).

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