Islamisme : enfin le bon diagnostic
Le travail de recherche tranche le débat sur l’essor de l’islam radical : un phénomène idéologique davantage que social.
C’est une pandémie qui, elle aussi, a suscité bien des flottements sur le plan de la doctrine. Longtemps, pour analyser la contagion djihadiste, des experts ont mis en avant des symptômes français. On a attribué cette radicalisation au malaise social des jeunes de quartiers défavorisés (Raphaël Liogier), au « nihilisme » contemporain (Olivier Roy), à une « emprise sectaire » (Dounia Bouzar)… Des diagnostics politisés ou psychologisants, qui peinent à cerner un phénomène mondial. Car si notre « fondamentalisme laïc » (Farhad Khosrokhavar) alimente l’islamisme radical, comment expliquer que celui-ci frappe en premier lieu les pays à majorité musulmane ? Et si « l’emprise islamiste » peut concerner n’importe qui, n’importe où, pourquoi des foyers (Trappes, Toulouse, Roubaix…) ont-ils concentré les candidats au djihad ? Pour les universitaires Bernard Rougier, Gilles Kepel ou Hugo Micheron, il faut au contraire considérer l’islamisme comme une idéologie cohérente et globalisée. Un virus importé de la péninsule Arabique ou de l’Algérie du GIA, et qui s’est propagé dans l’Hexagone à partir de clusters. Cette « conquête » géographique est aussi une conquête sur une partie de l’islam. En 2016, Hakim El Karoui avait, avec l’institut Montaigne, révélé que près d’un tiers des musulmans français possédaient un « système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». Aujourd’hui, dans Les Militants du djihad, impressionnante étude portant sur plus de 1 400 djihadistes européens (coécrite avec Benjamin Hodayé), il défend l’idée d’un continuum entre salafisme et djihadisme. Professeur à la Sorbonne nouvelle, Bernard Rougier publie, lui, une édition augmentée des Territoires conquis de l’islamisme, enquête universitaire choc qui a montré comment un « univers salafo-islamiste » s’est constitué depuis vingt ans, bien aidé par le clientélisme. Après avoir consulté des spécialistes aux compétences hasardeuses et ne parlant souvent pas l’arabe, les pouvoirs publics semblent enfin s’appuyer sur le bon diagnostic. Reste à éprouver le remède proposé, le projet de loi confortant les principes républicains.