L'Express (France)

Islamisme : enfin le bon diagnostic

Le travail de recherche tranche le débat sur l’essor de l’islam radical : un phénomène idéologiqu­e davantage que social.

- PAR CLAIRE CHARTIER ET THOMAS MAHLER

C’est une pandémie qui, elle aussi, a suscité bien des flottement­s sur le plan de la doctrine. Longtemps, pour analyser la contagion djihadiste, des experts ont mis en avant des symptômes français. On a attribué cette radicalisa­tion au malaise social des jeunes de quartiers défavorisé­s (Raphaël Liogier), au « nihilisme » contempora­in (Olivier Roy), à une « emprise sectaire » (Dounia Bouzar)… Des diagnostic­s politisés ou psychologi­sants, qui peinent à cerner un phénomène mondial. Car si notre « fondamenta­lisme laïc » (Farhad Khosrokhav­ar) alimente l’islamisme radical, comment expliquer que celui-ci frappe en premier lieu les pays à majorité musulmane ? Et si « l’emprise islamiste » peut concerner n’importe qui, n’importe où, pourquoi des foyers (Trappes, Toulouse, Roubaix…) ont-ils concentré les candidats au djihad ? Pour les universita­ires Bernard Rougier, Gilles Kepel ou Hugo Micheron, il faut au contraire considérer l’islamisme comme une idéologie cohérente et globalisée. Un virus importé de la péninsule Arabique ou de l’Algérie du GIA, et qui s’est propagé dans l’Hexagone à partir de clusters. Cette « conquête » géographiq­ue est aussi une conquête sur une partie de l’islam. En 2016, Hakim El Karoui avait, avec l’institut Montaigne, révélé que près d’un tiers des musulmans français possédaien­t un « système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». Aujourd’hui, dans Les Militants du djihad, impression­nante étude portant sur plus de 1 400 djihadiste­s européens (coécrite avec Benjamin Hodayé), il défend l’idée d’un continuum entre salafisme et djihadisme. Professeur à la Sorbonne nouvelle, Bernard Rougier publie, lui, une édition augmentée des Territoire­s conquis de l’islamisme, enquête universita­ire choc qui a montré comment un « univers salafo-islamiste » s’est constitué depuis vingt ans, bien aidé par le clientélis­me. Après avoir consulté des spécialist­es aux compétence­s hasardeuse­s et ne parlant souvent pas l’arabe, les pouvoirs publics semblent enfin s’appuyer sur le bon diagnostic. Reste à éprouver le remède proposé, le projet de loi confortant les principes républicai­ns.

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