Financement des cultes : les non-dits de la loi sur le séparatisme
Le projet de loi oblige les autorités religieuses à indiquer l’origine de leurs ressources. Un objectif louable… aux effets plus qu’incertains.
Ce n’est sans doute pas la disposition la plus flamboyante du projet de loi « visant à renforcer le respect des principes de la République », mais c’est certainement celle qui attise le plus les tensions entre le gouvernement et les représentants des religions. Le texte, qui sera examiné à partir du 1er février à l’Assemblée nationale, prévoit d’accroître les obligations des lieux de culte en matière de transparence financière. Sans le dire – il ne peut pointer du doigt une confession –, l’exécutif veut surtout mieux connaître le financement des mosquées. « On a besoin de savoir d’où vient l’argent, qui le touche, pour quoi faire. Ça, il faut s’en assurer », martelait déjà Emmanuel Macron en février 2020, lors d’un déplacement à Mulhouse consacré au « séparatisme islamiste ». Mais, déjà, de nombreuses voix s’élèvent pour exprimer leurs doutes sur l’efficacité de ces mesures.
Première d’entre elles : l’obligation pour les structures gérant des lieux de culte de déclarer leurs ressources en provenance de l’étranger dès qu’elles sont supérieures à 10 000 euros annuels. Dans le viseur, les sommes versées par des Etats, comme le Maroc, l’Algérie ou la Turquie, mais aussi celles provenant de fonds souverains comme celui du Qatar, de structures associatives ou de personnes privées. Avec le risque de ne pas apprendre grand-chose, Tracfin, le service de Bercy chargé de traquer les transferts d’argent illégaux, étant déjà mobilisé. Rien ne dit, en outre, que cette disposition permettra de contrer une éventuelle influence de ces donateurs sur l’islam en France. « En ce qui concerne l’islam consulaire (Algérie, Maroc…), cela conduira peut-être à une remise à plat et à bousculer la vieille bureaucratie, reconnaît Didier Leschi, auteur de Misère(s) de l’islam de France (éd. du Cerf ). En revanche, les autres font parfois de gros investissements dans la construction, sans que cela s’accompagne d’une volonté de peser ensuite sur l’institution. »
La stratégie d’influence est souvent plus idéologique que pécuniaire. Par exemple, la Turquie, très critiquée par le gouvernement pour sa volonté de répandre sa vision politique de l’islam, ne finance officiellement aucun lieu de culte. Son poids s’exerce davantage à travers le Ditib, son organisme chargé d’organiser le culte turc en France en relation directe avec Ankara, ou via ses 120 imams détachés des rives du Bosphore. La suppression de ce dispositif, annoncée pour 2024 par Emmanuel Macron, aura sans doute un effet bien plus important. Le projet de loi vise aussi à obliger les organismes gérant des lieux de culte à une très grande transparence sur leurs ressources, françaises ou étrangères.
Le gouvernement soupçonne certaines structures musulmanes de diffuser, sous couvert d’activités culturelles (aides aux devoirs, danse, etc.), une forme d’islam radical et prosélyte. En exigeant des associations sous le statut de la loi de 1901 une présentation annuelle détaillée de leurs comptes et de leurs sources de financement, avec droit de regard de la préfecture, il espère repérer plus vite qu’aujourd’hui les dérives. La mesure est particulièrement mal vécue par les responsables musulmans, qui ont le sentiment d’être l’objet d’une suspicion permanente : « Vous n’imaginez pas les contrôles que nous subissons depuis quelque temps. Dès que je dépose un chèque un peu plus gros que d’habitude à la banque, parce que nous avons fait une quête auprès des fidèles pour une action spécifique, mon gestionnaire me demande des explications », déplore ainsi Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon. Mais elle a aussi suscité une levée de boucliers d’autres dignitaires religieux, notamment parmi les évangéliques. Organisés en églises locales, souvent de petite taille, ils redoutent le coût d’obligations comptables qui ne s’appliquaient jusqu’alors qu’à des associations ayant au moins 153 000 euros de recettes annuelles. Ils n’apprécient pas non plus d’être obligés d’étaler sur la place publique l’origine de leurs fonds, qui viennent parfois de l’étranger. Le gouvernement a entendu les critiques, il se dit prêt à réfléchir à l’établissement de seuils à partir desquels les obligations comptables s’appliqueraient, mais il ne veut pas trop les rehausser : c’est, en effet, dans les petites structures qu’il identifie le plus le risque de dérives. « Il faut trouver un équilibre pour ne pas créer d’angles morts », prévient Florent Boudié, député LREM et rapporteur du projet de loi.
Dernier point qui ne figurait pas dans le texte initial, mais qui pourrait y faire son entrée à la faveur d’un amendement : l’interdiction du rachat d’un lieu de culte sur le sol national par un Etat étranger. A deux reprises ces derniers mois, à Angers puis à Montpellier, un conseil municipal s’est opposé à la cession d’une mosquée à l’Etat marocain. L’idée est de fournir aux élus locaux un outil permettant d’empêcher plus facilement ces transactions. Sur le papier, l’intention est louable, mais elle soulève une question épineuse : celle des ressources de l’islam de France. Car si ces deux mosquées se sont tournées vers Rabat, ce n’est pas par choix idéologique, mais parce qu’elles étaient en difficulté financière.
Pour l’instant, au nom de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’exécutif affiche une certaine prudence. Il se contente, en annonçant la fin des imams détachés, en demandant à connaître l’origine des fonds, en asséchant les sources traditionnelles de financement, de pousser les représentants musulmans à ouvrir le débat. A parler de la répartition des recettes du halal et des pèlerinages, de la rémunération des imams, de la contribution à la construction et à l’entretien de lieux de culte – bref, de l’organisation de l’islam de France. Un premier pas a été franchi avec la signature, le 18 janvier, de la charte des principes de l’islam, mais beaucoup reste à faire.