Au Rassemblement national, la crainte des « dérapages »
Marine Le Pen et ses proches cherchent à éviter les éventuelles saillies racistes ou antisémites de leurs futurs postulants aux départementales et aux régionales.
C’est un mauvais souvenir, qui hante Marine Le Pen. Celui de la campagne des élections départementales de 2015, durant laquelle le Front national se gargarisait d’avoir investi 7 648 candidats, avant de déchanter face aux polémiques en bataille. Des dizaines de représentants frontistes s’étaient alors distingués par des commentaires racistes, antisémites ou homophobes sur les réseaux sociaux, provoquant l’embarras de leur cheffe, qui ambitionnait de « dédiaboliser » le parti paternel. Cinq ans plus tard, la direction du désormais Rassemblement national (RN) craint un bis repetita. Dont la première victime serait, cette fois, la stratégie de « présidentialisation », à l’heure où Marine Le Pen consacre une large partie de ses efforts à asseoir sa stature et sa crédibilité pour le poste de chef de l’Etat. Depuis quelques mois, le mouvement à la flamme s’organise donc pour tenter d’éviter toute sortie de route aux futures élections locales, départementales et régionales, qui doivent en théorie se tenir au mois de juin (la date est encore incertaine, pandémie oblige). Pour les premières, le RN a décidé d’être présent partout en investissant 8 000 candidats, suppléants inclus. Une gageure, dans un mouvement en manque de cadres locaux et où beaucoup de fédérations ont vu leurs effectifs se réduire comme peau de chagrin depuis 2017. L’enjeu est crucial : donner l’image d’un parti de gouvernement, capable de présenter des personnalités crédibles sur l’ensemble du territoire. Pour le moment, seuls un millier de candidats (sur 4 000) ont été désignés par la commission d’investiture du parti, les suppléants étant laissés à la charge des délégués départementaux. Où trouver les 3 000 manquants ? La majorité d’entre eux sera sans nul doute composée de primo-candidats et, au siège de Nanterre,
on craint le retour des dérapages. « Vous connaissez le grand examen dont nous faisons les frais à chaque élection », a rappelé le député européen Jordan Bardella lors d’une réunion confidentielle, suppliant les cadres locaux de faire preuve de modération, selon plusieurs témoignages : « De grâce, dans une période où l’opinion se radicalise, je vous demande d’être des gens responsables sur les réseaux sociaux. » « L’ennemi nous écoute en permanence et il a de grandes oreilles », a mis en garde de son côté Gilles Pennelle, chargé des fédérations. L’ennemi, ce sont évidemment les journalistes, « véritables flics de la pensée », accusés d’aller fouiller jusqu’aux messages postés « sur Le Bon Coin ou Copains d’avant ». D’où une injonction à « googliser » les postulants, pour vérifier qu’aucun dérapage ne fuite dans la presse. Outre les appels à la responsabilité collective, Marine Le Pen et ses adjoints ont décidé, afin de limiter les risques, de centraliser à l’extrême les futures élections. A cet effet, le siège vient d’embaucher pour six mois, selon nos informations, Nicolas Pierron, jusqu’ici délégué départemental adjoint de Seine-SaintDenis. Le jeune homme sera chargé de rassembler tous les documents administratifs des différents profils, mais aussi de passer ces derniers au crible. Concernant les sites Internet de campagne, ils doivent être « sous le contrôle absolu du délégué départemental ». Impensable, par exemple, pour un candidat d’ouvrir lui-même une page Facebook ou Twitter. « Nous irions à la catastrophe, vous devez tout contrôler, tout ! » a répété Gilles Pennelle début janvier à ses troupes. Enfin, même les thèmes de campagne seront nationaux. Consigne a été passée aux futurs candidats de ne pas communiquer « sur la couleur de la façade du collège de tel canton ». Dans ce contexte, de nombreux délégués départementaux sont démoralisés, et doutent de pouvoir présenter le nombre de candidats nécessaires. La consigne de Marine Le Pen est pourtant claire : être présents dans tous les cantons, même si les cadres reconnaissent qu’il faudra se battre, durement, pour y arriver. D’autant que les profils qui arrivent en commission d’investiture sont parfois fantasques, d’aucuns joignant au dossier une photo d’eux dans leur piscine, en peignoir, ou en boîte de nuit... Pour essayer une nouvelle fois de maîtriser l’expression de ces néophytes, un argumentaire sera désormais envoyé toutes les semaines aux responsables locaux, avec la position officielle du RN. « Votre parole ne doit pas exprimer votre opinion personnelle, mais la ligne du mouvement », a rappelé le porte-parole du parti Laurent Jacobelli, dans une énième tentative de contrôle des effectifs lepénistes.