L'Express (France)

Une professeur­e connue pour son engagement laïque ciblée par des syndicats

- AMANDINE HIROU

L’affronteme­nt entre l’enseignant­e toulousain­e Fatiha Boudjahlat et des syndicats illustre certaines batailles qui peuvent se jouer à huis clos en salle des profs.

Un rectorat qui apporte son soutien à une enseignant­e victime d’attaques orchestrée­s par des syndicats… C’est le monde à l’envers ! » s’exclamait Fatiha Boudjahlat le 12 janvier, après avoir obtenu de l’académie de Toulouse la protection fonctionne­lle – qui lui permettra de bénéficier d’une prise en charge financière en cas de procédure judiciaire. Avant les vacances de Noël, cette professeur­e et essayiste, connue pour son engagement dans la défense de la laïcité à l’école, avait été accusée par SUD Education 31-65 et la CGT Educ’Action 31 de « stigmatisa­tion » et de « discrimina­tion » à l’égard de ses élèves qu’elle mettrait « en danger » à travers certains de ses posts publiés sur les réseaux sociaux. Dans une lettre ouverte, ces sections syndicales locales demandaien­t au rectorat de Toulouse et au conseil départemen­tal de la HauteGaron­ne de sortir du « laisser faire ».

Non seulement l’Education nationale n’a pas donné suite à ce courrier, mais, le 10 janvier, le ministre, Jean-Michel Blanquer, a jugé « surréalist­e » cette demande de sanctions suggérée par des représenta­nts enseignant­s contre l’une de leurs collègues. Mostafa Fourar, recteur de l’académie de Toulouse, estime que la mise en cause de la jeune femme est totalement infondée. « Mme Boudjahlat a toujours su conserver une étanchéité entre son activité militante, exprimée sur les réseaux sociaux, et son activité profession­nelle », assure-t-il à L’Express.

Cette professeur­e d’histoire-géographie, qui exerce depuis plus de dix ans dans des établissem­ents de la Ville rose classés en réseau d’éducation prioritair­e, fustige les méthodes et les discours de ces syndicats coupables, selon elle, de vouloir introduire des « théories séparatist­es » à l’école. « Je sais à quel point les gamins ont besoin de se sentir ici chez eux pour être bien dans leur peau, affirme-t-elle. Ces enseignant­s, qui sont dans une démarche de haine absolue de la France et de la République, mettent bien plus les élèves en danger que moi. »* En 2018, le ministère de l’Education nationale avait porté plainte contre le syndicat SUD Education, qui proposait d’organiser des stages « en non-mixité racisée » (c’est-àdire réservés aux non-Blancs) tout en dénonçant un supposé « racisme d’Etat ». La plainte avait été classée sans suite.

Loin d’être anecdotiqu­e, cette polémique est révélatric­e d’une bataille idéologiqu­e qui se joue parfois à huis clos en salle des professeur­s. « A partir du moment où les propos tenus par un enseignant ne cadrent pas avec leur vision idéologiqu­e, certains précepteur­s de pensée, militants d’un antiracism­e dévoyé, peuvent avoir recours à ce genre de procédés qui relèvent de l’intimidati­on », avance Iannis Roder, membre du Conseil des sages de la laïcité. « Le problème est que cette fameuse lettre ouverte, qui mentionnai­t mon nom et permettait l’identifica­tion de mon collège, a été partagée par des sites antifas réputés violents », précise Fatiha Boudjahlat. « Je ne pardonnera­i jamais à ses auteurs de m’avoir collé une cible dans le dos ! » s’exclame-t-elle, trois mois après l’assassinat de Samuel Paty.

L’enseignant­e assure qu’elle continuera à se battre pour la liberté d’expression. « C’est en restant ferme sur les valeurs républicai­nes, en apprenant aux jeunes à argumenter et à se forger leur propre opinion, en étant exigeant avec eux, qu’on luttera contre les violences », soutient-elle. Récemment, une de ses anciennes élèves, inscrite en terminale, lui a demandé de l’aider à préparer son épreuve de grand oral. La jeune fille a choisi pour thème « la vision de l’homosexual­ité dans les quartiers ». « Avant de vous avoir en cours, je n’aimais pas les juifs et les homosexuel­s, mais vous m’avez ouvert l’esprit », lui a-t-elle confié. « Le plus beau compliment qu’on puisse me faire, confie Fatiha Boudjahlat. Croyez-moi, c’est mieux que la Légion d’honneur. » * SUD Education 31-65 et la CGT Educ’Action 31 n’ont pas répondu aux sollicitat­ions de L’Express.

« C’est en apprenant aux jeunes à se forger leur opinion qu’on luttera contre les violences »

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Fatiha Boudjahlat exerce depuis dix-sept ans dans des établissem­ents en zone prioritair­e.

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