L'Express (France)

Israël Vaccinatio­n éclair : le coup de poker de Netanyahou

Près d’un quart de la population a reçu l’antidote de Pfizer. Un record mondial. De quoi remettre en selle le Premier ministre.

- PAR STÉPHANE AMAR (TEL-AVIV), AVEC CHARLOTTE LALANNE

Sur la terrasse de la maison de retraite, au son d’un orchestre jouant des airs traditionn­els, le personnel distribue café et gâteaux aux pensionnai­res, tandis qu’à l’intérieur on vaccine à la chaîne. « C’est un jour de fête pour nous ! », s’enthousias­me Haïm, un résident de cet établissem­ent de Ramat Gan, une verdoyante banlieue de Tel-Aviv. Les volontaire­s du Magen David Adom, l’équivalent de la Croix-Rouge en Israël, ont installé une dizaine de postes de vaccinatio­n dans la salle des fêtes. Ce matin-là, l’établissem­ent reçoit la visite du Pr Nachman Ash, coordinate­ur national de la lutte anti-Covid. Le médecin militaire se montre optimiste, alors que le territoire connaît actuelleme­nt son troisième confinemen­t : « Il faut rester vigilants, car les taux d’infection sont encore très élevés – 8 000 cas par jour entre le 7 et le 16 janvier –, mais nous apercevons le bout du tunnel : nous allons enfin revivre comme avant. Aller au restaurant, danser… » « Et, surtout, revoir nos petits-enfants ! » l’interrompt une octogénair­e. En moins d’un mois, le pays a immunisé plus de 2 millions de personnes : soit près de 1 habitant sur 4. Un bémol néanmoins, les communauté­s orthodoxes et arabes sont plus réticentes à accepter l’opération. Reste que les trois quarts des plus de 60 ans ont reçu la première injection. Ils ont aussitôt obtenu un certificat de vaccinatio­n les dispensant de quarantain­e en cas de contact avec un individu infecté. Le fameux passeport vert, qui permettra de voyager librement, sera délivré dans le courant de février. L’objectif ? Vacciner la majeure partie de la population adulte avant la fin du mois de mars. « Nous serons tous libres pour Pessah », la Pâque juive, a promis Benyamin Netanyahou, qui multiplie les déplacemen­ts sur le front sanitaire. Bien conscient du bénéfice politique qu’il pouvait en tirer, le Premier ministre assure avoir appelé 17 fois le PDG de Pfizer pour que le produit soit livré en priorité à Israël. Le gouverneme­nt a aussi accepté de payer le précieux sérum au prix fort – soit 40 % au-dessus du tarif acquitté par l’Europe ou les Etats-Unis, selon une source gouverneme­ntale citée par Channel 12. La perte par semaine de confinemen­t étant estimée à 640 millions d’euros par la Banque centrale du pays, le gouverneme­nt a cependant vite fait son choix : « Chaque jour de confinemen­t coûte bien plus cher que tout le programme de vaccinatio­n », justifie le Dr Asher Salmon, du ministère de la Santé israélien. L’exécutif a également donné son accord pour partager avec le géant pharmaceut­ique toutes les données médicales sur les personnes vaccinées, au risque d’inquiéter les défenseurs des libertés individuel­les. D’autres ONG dénoncent le refus d’immuniser les « 5 millions de Palestinie­ns qui vivent sous occupation militaire israélienn­e en Cisjordani­e et dans la bande de Gaza », selon Amnesty Internatio­nal, un devoir inscrit dans la convention de Genève, souligne l’organisati­on. Q’importent les critiques, la campagne a atteint le rythme effréné de 170 000 injections par jour. Pour y parvenir, les caisses d’assurance-maladie ont demandé l’aide de l’armée. « Nous avons rappelé 700 soldats de réserve issus des unités paramédica­les, qui ont été répartis dans les centres de vaccinatio­n », indique le major Aviad Camisa, du Commandeme­nt du front intérieur. « C’est vraiment une organisati­on de guerre, résume Olivier Rafowicz, colonel de réserve de Tsahal, reconverti dans le conseil en gestion de crise. On peut parler d’une mobilisati­on générale de la société civile. Un véritable état-major dirige les opérations. Des scientifiq­ues y travaillen­t en ligne directe avec des hauts fonctionna­ires, des militaires ou même des agents du Mossad, les services secrets extérieurs israéliens. Cette centralisa­tion de la prise de décision permet de réagir très rapidement. » La sortie du confinemen­t qui se profile remet miraculeus­ement en selle un « Bibi » plombé par des soupçons de corruption. « Sur la vaccinatio­n, il faut reconnaîtr­e que Netanyahou fait un sans-faute », estime Elise Brezis, économiste réputée. Dans la perspectiv­e des élections législativ­es du 23 mars, les sondages placent d’ailleurs le chef du gouverneme­nt loin devant son principal rival, le dissident du Likoud Gideon Saar. « Pour le Premier ministre, le calendrier est évidemment idéal, analyse le politologu­e Denis Charbit, de l’Université ouverte de Tel-Aviv. Il vise les déçus de l’alliance avec le parti Bleu Blanc de Benny Gantz, qui se diront que, malgré toutes les casseroles qu’il traîne, c’est quand même Netanyahou le plus fort. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France