Israël Vaccination éclair : le coup de poker de Netanyahou
Près d’un quart de la population a reçu l’antidote de Pfizer. Un record mondial. De quoi remettre en selle le Premier ministre.
Sur la terrasse de la maison de retraite, au son d’un orchestre jouant des airs traditionnels, le personnel distribue café et gâteaux aux pensionnaires, tandis qu’à l’intérieur on vaccine à la chaîne. « C’est un jour de fête pour nous ! », s’enthousiasme Haïm, un résident de cet établissement de Ramat Gan, une verdoyante banlieue de Tel-Aviv. Les volontaires du Magen David Adom, l’équivalent de la Croix-Rouge en Israël, ont installé une dizaine de postes de vaccination dans la salle des fêtes. Ce matin-là, l’établissement reçoit la visite du Pr Nachman Ash, coordinateur national de la lutte anti-Covid. Le médecin militaire se montre optimiste, alors que le territoire connaît actuellement son troisième confinement : « Il faut rester vigilants, car les taux d’infection sont encore très élevés – 8 000 cas par jour entre le 7 et le 16 janvier –, mais nous apercevons le bout du tunnel : nous allons enfin revivre comme avant. Aller au restaurant, danser… » « Et, surtout, revoir nos petits-enfants ! » l’interrompt une octogénaire. En moins d’un mois, le pays a immunisé plus de 2 millions de personnes : soit près de 1 habitant sur 4. Un bémol néanmoins, les communautés orthodoxes et arabes sont plus réticentes à accepter l’opération. Reste que les trois quarts des plus de 60 ans ont reçu la première injection. Ils ont aussitôt obtenu un certificat de vaccination les dispensant de quarantaine en cas de contact avec un individu infecté. Le fameux passeport vert, qui permettra de voyager librement, sera délivré dans le courant de février. L’objectif ? Vacciner la majeure partie de la population adulte avant la fin du mois de mars. « Nous serons tous libres pour Pessah », la Pâque juive, a promis Benyamin Netanyahou, qui multiplie les déplacements sur le front sanitaire. Bien conscient du bénéfice politique qu’il pouvait en tirer, le Premier ministre assure avoir appelé 17 fois le PDG de Pfizer pour que le produit soit livré en priorité à Israël. Le gouvernement a aussi accepté de payer le précieux sérum au prix fort – soit 40 % au-dessus du tarif acquitté par l’Europe ou les Etats-Unis, selon une source gouvernementale citée par Channel 12. La perte par semaine de confinement étant estimée à 640 millions d’euros par la Banque centrale du pays, le gouvernement a cependant vite fait son choix : « Chaque jour de confinement coûte bien plus cher que tout le programme de vaccination », justifie le Dr Asher Salmon, du ministère de la Santé israélien. L’exécutif a également donné son accord pour partager avec le géant pharmaceutique toutes les données médicales sur les personnes vaccinées, au risque d’inquiéter les défenseurs des libertés individuelles. D’autres ONG dénoncent le refus d’immuniser les « 5 millions de Palestiniens qui vivent sous occupation militaire israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza », selon Amnesty International, un devoir inscrit dans la convention de Genève, souligne l’organisation. Q’importent les critiques, la campagne a atteint le rythme effréné de 170 000 injections par jour. Pour y parvenir, les caisses d’assurance-maladie ont demandé l’aide de l’armée. « Nous avons rappelé 700 soldats de réserve issus des unités paramédicales, qui ont été répartis dans les centres de vaccination », indique le major Aviad Camisa, du Commandement du front intérieur. « C’est vraiment une organisation de guerre, résume Olivier Rafowicz, colonel de réserve de Tsahal, reconverti dans le conseil en gestion de crise. On peut parler d’une mobilisation générale de la société civile. Un véritable état-major dirige les opérations. Des scientifiques y travaillent en ligne directe avec des hauts fonctionnaires, des militaires ou même des agents du Mossad, les services secrets extérieurs israéliens. Cette centralisation de la prise de décision permet de réagir très rapidement. » La sortie du confinement qui se profile remet miraculeusement en selle un « Bibi » plombé par des soupçons de corruption. « Sur la vaccination, il faut reconnaître que Netanyahou fait un sans-faute », estime Elise Brezis, économiste réputée. Dans la perspective des élections législatives du 23 mars, les sondages placent d’ailleurs le chef du gouvernement loin devant son principal rival, le dissident du Likoud Gideon Saar. « Pour le Premier ministre, le calendrier est évidemment idéal, analyse le politologue Denis Charbit, de l’Université ouverte de Tel-Aviv. Il vise les déçus de l’alliance avec le parti Bleu Blanc de Benny Gantz, qui se diront que, malgré toutes les casseroles qu’il traîne, c’est quand même Netanyahou le plus fort. »