Démonétiser la haine en ligne
Twitter et Facebook se sont séparés de Donald Trump comme un gestionnaire de portefeuille solderait un actif qui a beaucoup rapporté mais qui, en bout de course, est devenu toxique. Le prétexte est évidemment l’insurrection du 6 janvier, encouragée par le président sortant. Depuis, pas moins de 17 entreprises de technologie américaines ont suivi le mouvement qui touche toutes les émanations du trumpisme déclinant. Les réseaux sociaux ont pourtant gagné beaucoup d’argent avec le milliardaire... En vertu notamment du magique « barattage » de la viralité sociale : plus un post, un tweet ou une vidéo sont partagés, plus ils génèrent du trafic sur les plateformes, lesquelles se rémunèrent au nombre de vues. Et plus un contenu est outrancier, plus il « performe ». Dans son implacable machine publicitaire, Facebook a même traduit cela en un algorithme qui déroule le tapis rouge à l’extrême droite américaine et aux conspirationnistes en tout genre, dont les saillies cartonnent en ligne. Une enquête du site technologique The Markup a révélé que l’équipe de campagne de Trump avait payé ses publicités sur Facebook moitié moins cher que celles de Biden, car les excès de l’ex-président américain et de ses supporters se propageaient infiniment mieux que la relative modération du challenger démocrate. A client exceptionnel, conditions avantageuses. C’est une constante de Facebook depuis la campagne présidentielle de 2016, durant laquelle le réseau social a apporté au milliardaire new-yorkais une assistance décisive. Cela s’appelle « monétiser la rage », et c’est la première déviance à laquelle les législateurs doivent maintenant s’attaquer : il faut empêcher les plateformes d’être en mesure de profiter de la haine. Cela suppose une révision de leurs pratiques publicitaires, qui, aujourd’hui, rémunèrent l’outrance et la fureur. Mais on touche là à l’essence même du modèle économique de Facebook ou de Twitter. Quant à l’obligation de modérer les contenus, son efficience dépend des moyens humains et technologiques engagés. Les deux supposent des investissements conséquents, auxquels les plateformes ne consentiront que sous la contrainte réglementaire.