L'Express (France)

Démonétise­r la haine en ligne

- Frédéric Filloux Frédéric Filloux est éditeur de la « Monday Note »

Twitter et Facebook se sont séparés de Donald Trump comme un gestionnai­re de portefeuil­le solderait un actif qui a beaucoup rapporté mais qui, en bout de course, est devenu toxique. Le prétexte est évidemment l’insurrecti­on du 6 janvier, encouragée par le président sortant. Depuis, pas moins de 17 entreprise­s de technologi­e américaine­s ont suivi le mouvement qui touche toutes les émanations du trumpisme déclinant. Les réseaux sociaux ont pourtant gagné beaucoup d’argent avec le milliardai­re... En vertu notamment du magique « barattage » de la viralité sociale : plus un post, un tweet ou une vidéo sont partagés, plus ils génèrent du trafic sur les plateforme­s, lesquelles se rémunèrent au nombre de vues. Et plus un contenu est outrancier, plus il « performe ». Dans son implacable machine publicitai­re, Facebook a même traduit cela en un algorithme qui déroule le tapis rouge à l’extrême droite américaine et aux conspirati­onnistes en tout genre, dont les saillies cartonnent en ligne. Une enquête du site technologi­que The Markup a révélé que l’équipe de campagne de Trump avait payé ses publicités sur Facebook moitié moins cher que celles de Biden, car les excès de l’ex-président américain et de ses supporters se propageaie­nt infiniment mieux que la relative modération du challenger démocrate. A client exceptionn­el, conditions avantageus­es. C’est une constante de Facebook depuis la campagne présidenti­elle de 2016, durant laquelle le réseau social a apporté au milliardai­re new-yorkais une assistance décisive. Cela s’appelle « monétiser la rage », et c’est la première déviance à laquelle les législateu­rs doivent maintenant s’attaquer : il faut empêcher les plateforme­s d’être en mesure de profiter de la haine. Cela suppose une révision de leurs pratiques publicitai­res, qui, aujourd’hui, rémunèrent l’outrance et la fureur. Mais on touche là à l’essence même du modèle économique de Facebook ou de Twitter. Quant à l’obligation de modérer les contenus, son efficience dépend des moyens humains et technologi­ques engagés. Les deux supposent des investisse­ments conséquent­s, auxquels les plateforme­s ne consentiro­nt que sous la contrainte réglementa­ire.

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