Internet, vers un troisième âge de la vertu ?
RESET : RECLAIMING THE INTERNET FOR CIVIL SOCIETY
PAR RONALD J. DEIBERT.
HOUSE OF ANANSI PRESS, 304 P., 13,70 €.
La décision prise par Facebook et Twitter de fermer les comptes de Donald Trump et de groupes conspirationnistes marque-t-elle l’entrée d’Internet dans une ère nouvelle, plus attentive à la société civile et plus soucieuse du respect de la vérité ? Il est encore un peu tôt pour l’affirmer. Mais cet évènement, qui a suscité un débat (voir page 16) dans le monde entier, vient en tout cas à l’appui d’une thèse défendue par Ronald J. Deibert, chercheur et professeur à l’Université de Toronto, directeur du Citizen Lab, dont les travaux se situent à l’intersection des nouvelles technologies et des droits humains. L’auteur y annonce l’entrée d’Internet dans un « troisième âge », celui de la défense des citoyens contre les Etats et les intérêts du monde des affaires. Le premier âge fut celui de l’utopie libertarienne, l’accès de tous à la connaissance et au savoir. Le deuxième âge, dans lequel nous sommes encore, est celui du capitalisme de surveillance et du techno-autoritarisme. Leurs effets sont radicaux, en particulier du fait de liaisons incestueuses entre le pouvoir étatique et les grandes entreprises de la Tech, qui ont permis à différents Etats (et pas seulement les plus autoritaires) d’utiliser les technologies et les infrastructures de ces entreprises privées pour conduire des opérations de surveillance à grande échelle. Ronald J. Deibert raconte notamment comment les autorités chinoises collectent de façon systématique, dans la province du Xinjiang où vit la communauté ouïgoure, les données biométriques de tous les adultes, y compris les échantillons d’ADN, les empreintes digitales, le scanner des iris et le rhésus sanguin ! Un certain nombre d’Etats semblent avoir pris conscience que trop de lignes jaunes ont été franchies et commencent à vouloir enserrer ces puissantes technologies dans des règles plus strictes, à l’image des Etats-Unis ou de l’Union européenne. Mais pour l’auteur, il faut aller beaucoup plus loin. Il est nécessaire de limiter l’ampleur de la collecte de données par les géants du Net (pourquoi une application météo demanderait-elle l’accès à notre réseau de contacts ?), renforcer les dispositifs antitrust, déployer des systèmes de cryptage pour protéger les données et les communications des utilisateurs, multiplier la création de sites citoyens de vérification des informations et de lutte contre les fake news. Les progrès s’annoncent probablement longs et chaotiques. Mais pour Ronald J. Deibert, c’est dans cette association entre l’action publique et l’initiative des citoyens eux-mêmes que ce troisième âge d’Internet pourrait advenir. Le monde numérique a besoin de davantage de contraintes, tout comme le monde politique a su créer des systèmes complexes de pouvoirs et de contre-pouvoir. Les décideurs politiques nationaux et locaux, les organisations représentant la société civile, les universités, les groupes de consommateurs ont un rôle primordial à jouer dans ce processus. Il est plus que temps de les assumer.