Carrefour – Couche-Tard ou la concentration dans l’alimentaire
L’offre du canadien sur le français jette une lumière crue sur les difficultés des distributeurs tricolores. Serait-ce le point de départ d’une vague de fusions?
Aussitôt dévoilé et déjà presque enterré. Le projet de rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard, révélé le 12 janvier, est bien mal engagé. Le « non courtois, mais clair et définitif » du ministre de l’Economie Bruno Le Maire semble fermer la porte au groupe québécois. Difficile néanmoins de ne pas voir dans ce début de romance une forme de tournant pour la grande distribution française. « Qu’un groupe comme Carrefour se laisse approcher ainsi par un pompiste canadien, c’est un signe des temps », pointe le journaliste Olivier Dauvers, spécialiste du secteur. Et d’abord d’une forme de déclassement pour la filière tricolore. Au début des années 2000, Carrefour caracolait encore à la deuxième place mondiale du secteur, derrière Walmart. Il ne pointe désormais même plus dans le top 10, a multiplié les plans d’économie ces deux dernières années, et s’est retiré de marchés stratégiques comme la Chine. Résultat, il est la proie d’un groupe au chiffre d’affaires deux fois moindre, mais affichant une capitalisation boursière trois fois supérieure . L’heure serait-elle également à l’union des forces ? Au niveau mondial, les fusions-acquisitionsdans la grande distribution ont atteint la coquette somme de 182 milliards de dollars en 2020, d’après Bloomberg. Pourtant, la France est épargnée par les grosses opérations sur son sol. Six distributeurs y détiennent encore une part de marché supérieure à 8 % – « une situation rare en Europe et dans le monde », remarque Frédéric Fessart, associé chez EY Parthenon. Certes, ces derniers mutualisent une partie de leur approvisionnement. Un jeu défensif, qui permet de jouer sur les coûts sans bousculer le paysage concurrentiel. Mais la guerre des prix à laquelle se livrent Auchan, Leclerc ou Carrefour pour grappiller des dixièmes de part de marché, la concurrence des discounters européens Aldi ou Lidl ainsi que le désamour grandissant pour le format comme l’hypermarché réduisent les marges à la portion congrue. Un poison mortel, alors que le métier est en pleine transformation. « Il n’y a jamais eu besoin d’autant de financement », indique encore Frédéric Fessart. Et d’abord pour le numérique et la logistique, afin d’éviter d’être balayé par la vague de l’e-commerce et ses deux géants, l’américain Amazon et le chinois Alibaba. Les hypers et supermarchés doivent achever leur transformation en lieux de service et d’expérience premium. Un ripolinage là encore très coûteux. Face à cette situation, « il y a un vrai besoin de concentration pour investir et écraser les coûts », juge l’expert. Le PDG de Carrefour ne le sait que trop bien. En 2019, Alexandre Bompard prophétisait déjà « des difficultés et des consolidations dans les années à venir » pour le secteur. Depuis l’arrivée aux manettes de celui qui a conduit le rachat de Darty par la Fnac, Carrefour multiplie d’ailleurs les partenariats (Google, Tencent, Tesco) et a opéré de petits rachats (au Brésil et en Espagne). Toujours en 2019, des rumeurs prêtaient aussi à Alexandre Bompart l’intention de racheter le groupe Casino. « L’acquéreur, Couche-Tard, nous surprend, mais non le principe d’une fusion ou d’un rachat. C’est un débat récurrent chez nous », rappelle un syndicaliste du groupe. Vu l’intransigeance de Bercy quant à la prise de contrôle par des acteurs étrangers, les distributeurs tricolores, trop faibles pour mener de gros coups hors des frontières, vont-ils commencer à s’avaler entre eux ?