L'Express (France)

Tony Parker, le nouveau parrain du sport business

Depuis sa retraite, le basketteur n’a pas chômé. Il a investi près de 30 millions d’euros dans des projets en France. De quoi devenir un poids lourd de l’économie du secteur.

- PAR SÉBASTIEN POMMIER

Pas le plus grand, pas le plus costaud, mais un des plus habiles et rapides de sa génération. Retiré des parquets depuis juin 2019, après 18 saisons en NBA, Tony Parker reste, à 38 ans, un homme pressé. « Son truc, c’est la ponctualit­é. Si vous avez une minute de retard, il peut planter le rencard », confie un de ses proches, qui a visiblemen­t déjà fait les frais de cette rigueur. C’est donc avec un bon quart d’heure d’avance que l’on se présente fin décembre au rendez-vous fixé en marge d’une réunion du jury des trophées Sporsora, qui récompense­nt chaque année les meilleures initiative­s des acteurs de l’économie du sport. Sweat à capuche sur le dos, baskets aux pieds, l’ancien meneur de jeu des Spurs de San Antonio et de l’équipe de France patiente – ou plutôt trépigne – dans son fauteuil. A côté de lui, une valise à roulettes d’un célèbre maroquinie­r sur laquelle sont apposées ses initiales. « TP » est toujours prêt à s’exfiltrer. « Tony est dans sa vie privée ou profession­nelle comme il était sur le terrain. C’est un gagneur qui aime que les choses aillent vite », résume Didier Domat, son avocat et principal conseiller depuis une dizaine d’années. N’éludant aucune question, l’homme d’affaires Tony Parker, de plus en plus présent et influent dans le sport français, répond cash, tutoie facilement et ne se lance pas dans de longues digression­s. On l’a compris, son temps est compté. Entre sa casquette de président propriétai­re de l’Asvel, le club de basket de Villeurban­ne (Rhône), ses investisse­ments immobilier­s, son académie, ses chevaux de course, sa station de ski (Villard-de-Lans, en Isère), ses documentai­res sur Netflix, ses partenaria­ts avec des marques, son agence de conseil en gestion de carrière récemment montée avec son ami judoka Teddy Riner, Tony Parker est aujourd’hui un ancien sportif particuliè­rement actif. « Il n’a pas vraiment vécu cet épisode de la petite mort des athlètes de haut niveau. Même quand il était encore joueur, on pouvait s’appeler dans le vestiaire juste avant un match pour régler des détails. Il avait déjà cette capacité à “switcher” d’un sujet à l’autre en gardant sa concentrat­ion », se souvient son avocat, qui héberge au sein de son cabinet parisien une demi-douzaine d’entreprise­s montées par le champion de la NBA autour de sa holding Infinity Nine. Car, dans le monde des affaires, Tony Parker a fait une percée éclair. En plus de ses contrats de sponsoring en tant que joueur, estimés autour de 7 millions d’euros par an à la belle époque, il a vite ajouté des branches à sa galaxie. Le portefeuil­le Parker est à la fois diversifié et imposant. Selon nos informatio­ns, le basketteur, qui a amassé quelque 150 millions d’euros durant sa carrière en NBA, a déjà investi entre 20 et 30 millions d’euros dans des projets en France. « C’est un investisse­ur dynamique qui jongle surtout entre sport et immobilier », analyse un acteur du milieu. « Ma stratégie, c’est d’investir dans le sport d’une façon transversa­le pour redonner à la France ce qu’elle m’a apporté. J’ai commencé tôt ces projets, avant de quitter les parquets. C’est très important, car à ce moment-là les gens répondaien­t encore au téléphone, ils étaient plus réceptifs », assure le jeune retraité, sourire en coin. Son premier gros coup est en fait un pari d’adolescenc­e. Lui et son copain de chambrée à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performanc­e (Insep) Gaëtan Muller – devenu son bras droit à l’Asvel – pensaient déjà que « ce serait cool de gérer un jour un club de basket français ». « A l’époque, les gens rigolaient quand je disais que je voulais jouer en NBA. Pareil pour le rêve de devenir propriétai­re d’un club. J’en ai gardé une petite maxime : “Si tu as un rêve et que les gens ne rigolent pas quand tu en parles, c’est que tu ne rêves pas assez grand” », raconte Parker. C’est donc en 2014 que « TP » met la main sur l’Asvel, le club de basket de LyonVilleu­rbanne, un des plus beaux palmarès français. Il s’est rapidement fait adopter par l’écosystème lyonnais et s’y est acheté une maison, son pied-à-terre en France. Il côtoie alors des chefs d’entreprise influents et se lie d’amitié avec deux patrons locaux : Laurent de la Clergerie, à la tête du groupe de commerce en ligne LDLC et JeanMichel Aulas,l’emblématiq­ue président du club de football l’Olympique lyonnais (OL), rencontré au milieu des années 2000 par l’intermédia­ire de Thierry Henry. Le basketteur admire le côté bâtisseur du patron de l’OL. Entre ces deux-là, « ce n’est pas qu’une relation de business », raconte un proche de « TP ». « Laurent, c’est une personne humble qui montre que l’on peut réussir sans pour autant changer. JeanMichel, c’est un modèle de pugnacité et d’intelligen­ce. Pour moi, ils sont comme des mentors. », confie Tony Parker. Avec son nouveau réseau rhodanien, l’ancien meneur de jeu des Spurs accélère sa réadaptati­on dans l’Hexagone, lui qui, s’il a toujours gardé un oeil attentif sur la France, n’y passait pas plus d’un mois dans l’année quand il jouait aux Etats-Unis. Il prend à bras-le-corps la stratégie de l’Asvel

pour en stabiliser le modèle économique. Et, pour cela, il se rapproche financière­ment de Jean-Michel Aulas en bouclant une prise de participat­ion croisée entre les deux clubs. « Depuis, on travaille ensemble, en équipe. Je suis rentré au board de l’OL en juillet dernier, je suis son représenta­nt à l’internatio­nal. J’ai joué un rôle important dans le rachat de la franchise de football féminin OL Reign à Seattle », raconte Parker, qui entend même déménager prochainem­ent l’équipe en Floride. Loin de se cantonner au rôle d’interprète, il est un facilitate­ur et une sorte d’ambassadeu­r. Il ouvre aussi des portes en Asie, où l’OL a déjà un pied depuis que le fond chinois IDG a acheté 20 % de l’OL Groupe en 2016 pour 100 millions d’euros. Il est la figure internatio­nale d’Aulas. Dès lors, rien de surprenant à voir l’ancien n° 9 des Bleus endosser peu à peu le costume de parrain français du sport business, poste longtemps occupé par un certain… Jean-Michel Aulas. Début novembre, alors que la crise sanitaire se muait en crise économique brutale pour les clubs de football, rugby, basket et autres, c’est Parker qui a tapé du poing sur la table en affirmant dans la presse que le sport tricolore était en train de mourir. « Sans public, il n’y a pas de business », répète-t-il toujours. Avec à peine 110 millions d’euros débloqués pour aider l’ensemble de la filière, le sport est le parent pauvre des plans de soutien, loin derrière les milliards de l’aéronautiq­ue et même de la culture. « Rien que pour sauver le basket, il fallait déjà 23 millions d’euros. En fait, je ne revendique aucun rôle, je veux juste aider. Comme le basket dépend beaucoup de la billetteri­e et des revenus de jours de match, je voulais rappeler qu’avec les salles fermées on ne pourrait pas tenir », martèle l’intéressé. Son coup de gueule dans les médias provoque un électrocho­c. Une réunion de crise est montée à la hâte à l’Elysée le 17 novembre, où sont invités par visioconfé­rence tous les acteurs majeurs du sport français. « La prise de parole de Tony a eu plus de poids en huit jours que la nôtre en deux mois », résume avec un peu de recul Philippe Diallo, président du Conseil social du mouvement sportif (Cosmos), l’organisati­on patronale du sport. Ironie, lors de cet entretien, Tony Parker est aux Etats-Unis et veille jusqu’à 4 heures du matin devant l’écran de son ordinateur. La réunion commence, et c’est Philippe Diallo qui le premier prend la parole. Il dresse au président de la République un état des lieux alarmant de la situation. Juste après ce panorama, Parker veut tout de suite prendre la balle au bond et intervenir. Il est alors coupé sec par Emmanuel Macron : « Ce n’est pas la peine, Tony, le président Diallo a tout dit ». Pour le participan­t qui raconte cette scène, l’interrupti­on présidenti­elle a eu le mérite de détendre l’atmosphère… à défaut de répondre aux nombreuses attentes. « C’était pourtant une façon pour le président de soutenir les idées de Parker », nuance un conseiller. Tout ce petit monde est néanmoins sorti regonflé par la discussion élyséenne et la promesse d’une rallonge budgétaire de 400 millions d’euros pour soutenir le sport amateur. Mais, avec l’hiver, la situation s’enlise. « Décidément, le sport n’a pas la place qu’il devrait avoir. Nous sommes toujours très inquiets de ne pas pouvoir rouvrir les salles et les stades. Tony nous aide comme il peut. Il a investi son argent personnel en France, il est légitime pour s’exprimer », juge Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, qui a passé les fêtes à élaborer des

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scénarios pour convaincre le gouverneme­nt de desserrer la bride en termes de présence de public. Ecouté, respecté, Parker bute lui aussi sur la digue sanitaire et les arbitrages du ministère de la Santé. Mais son récent activisme a pu déranger, certains lui reprochant de servir ses intérêts. Qu’à cela ne tienne, il n’hésite pas à prendre son téléphone pour s’expliquer directemen­t avec les sceptiques. Il n’empêche que l’horizon sportif reste bouché. Et, sans public, Tony Parker sait que son investisse­ment dans le basket est en danger. Or, avec son associé Jean-Michel Aulas, il accélère sur un autre dossier d’envergure : la nouvelle salle polyvalent­e de l’OL. Ils viennent même de franchir une étape importante pour la constructi­on de la future enceinte qui devrait voir le jour dans l’OL Vallée, cette partie de la banlieue Est de Lyon où le club a déjà fait construire son stade de football et étend sa toile (hôtels, centre médical, laboratoir­e…). D’un montant estimé à 140 millions d’euros, la future Arena de 15 000 places est l’écrin qui doit accueillir les matchs d’EuroLigue (compétitio­n phare en Europe, proche du modèle NBA) de l’Asvel à partir de 2023. « Comme les droits TV dans le basket sont très faibles, c’est la seule façon pour lui d’assurer son investisse­ment. Pour devenir membre permanent de l’EuroLigue [18 clubs cette saison] et partager le gâteau de 600 millions d’euros par an, il lui faut une salle. C’est presque chose faite », explique un spécialist­e. La partie est même bien engagée, car les représenta­nts des instances européenne­s du basket viennent justement de se rendre à Villeurban­ne pour poser les bases d’un contrat assurant dix ans de présence de l’Asvel en EuroLigue. Une victoire majeure pour le président Parker. Ce succès, signe de son influence grandissan­te, y compris hors de France, pourrait même le destiner à un rôle bien plus large au sein du groupe du septuagéna­ire Jean-Michel Aulas, dont il apparaît aujourd’hui comme le successeur le plus crédible. « Je suis prêt à m’investir davantage à l’OL et il le sait, nous en avons parlé ensemble. Mais Jean-Michel m’a dit qu’il voulait tenir la barre encore trois ou quatre ans. Ce n’est pas un souci, j’ai beaucoup de choses à apprendre d’un groupe coté en Bourse », reconnaît posément Tony Parker. Et, comme il faut continuer de rêver toujours plus grand, « TP » se verrait bien, un jour, racheter une franchise NBA. Est-ce que ça fait rire quelqu’un dans la salle ?

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« Si tu as un rêve et que les gens ne rigolent pas quand tu en parles, c’est que tu ne rêves pas assez grand », aime à répéter l’ancien meneur de jeu des Spurs.

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