L'Express (France)

Covid-19 : séquencer le virus pour mieux maîtriser la pandémie

L’analyse du génome du Sars-CoV-2 pour en débusquer les moindres mutations est devenue, comme l’ont montré les récentes découverte­s de différents variants, un outil incontourn­able.

- PAR VICTOR GARCIA

Chaque jour, l’épidémie de Covid-19 progresse inexorable­ment. Le Sars-CoV-2 se réplique, mute, puis se transforme. Les scientifiq­ues doivent donc le surveiller en permanence. Notamment grâce au séquençage de son génome, mais aussi en l’analysant finement grâce à la phylodynam­ique, une discipline récente qui vise à collecter de précieuses informatio­ns pour lutter contre lui : « Savoir où une souche particuliè­re se propage, estimer la date de son apparition, déterminer les durées de contagiosi­té, évaluer le nombre d’individus porteurs ou encore identifier les événements de superpropa­gation », résume Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS dans l’équipe Evolution théorique et expériment­ale du laboratoir­e Mivegec, à Montpellie­r. Une telle enquête débute par les prélèvemen­ts nasopharyn­gés effectués chez les personnes potentiell­ement infectées, qui sont ensuite analysés par des tests PCR ou antigéniqu­es. S’ils se révèlent positifs, ils sont transmis à des laboratoir­es pour être séquencés. « Lorsque nous recevons un échantillo­n, nous procédons à une extraction des acides nucléiques [NDLR : l’ARN, soit le code génétique du Sars-CoV-2], grâce à des appareils automatisé­s, puis nous amplifions le virus avant d’envoyer le résultat dans une machine susceptibl­e de donner l’intégralit­é de la séquence », détaille Laurence Josset, virologue aux Hospices civils de Lyon, chargée du séquençage au centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoi­res de la métropole lyonnaise. Vient alors l’étape du « profilage », afin d’effectuer une analyse complète de la séquence génétique. Objectif : identifier la pluralité des modificati­ons du virus et ainsi cataloguer les variants. « C’est ce que montre l’outil Nexstrain, une base de données surveillan­t l’évolution des différente­s souches partout dans le monde », ajoute-t-elle. Pour chaque séquence analysée, les généticien­s recourent à des programmes informatiq­ues et à des modèles statistiqu­es élaborés pour repérer les variants du virus. Avec la date du prélèvemen­t, ils peuvent créer un arbre généalogiq­ue du virus. De cette manière, les chercheurs ont réussi découvrir des variants britanniqu­e B.1.1.7 et sud-africain 501.V2, mais ils ont aussi pu suivre leur progressio­n par rapport aux autres souches.

La souche « originale » aurait émergé entre août et novembre 2019 en Chine

« Cette technique de détection d’un virus mutant, dont les capacités d’infection changent ou qui échappe aux vaccins, est connue depuis les années 1990, précise Samuel Alizon. Les spécialist­es l’utilisent couramment pour le VIH : ils vérifient systématiq­uement, pour chaque patient, la grippe, afin de connaître son profil de résistance aux traitement­s et d’adapter ces derniers au cas par cas. » De la même manière, les chercheurs du CNR de Lyon traquent le virus de la grippe, dont la faculté à muter est considérab­le. « Chaque année, nous parvenons à déterminer quel variant de la grippe circule afin de prédire le nouveau vaccin », constate Laurence Josset. Mais l’intérêt de la phylodynam­ique va plus loin. Cette discipline aide à remonter le temps. Il a ainsi été possible de dater l’apparition de l’épidémie : en étudiant le génome du Sars-CoV-2, les scientifiq­ues ont calculé combien de nouvelles mutations se manifesten­t par mois et ont ainsi considéré que la souche « originale » aurait émergé entre août et novembre 2019 en Chine. « Elle permet aussi d’apprécier le taux de croissance d’une épidémie, le fameux R0, mais aussi, potentiell­ement, la durée de la période infectieus­e, soit la durée de contagiosi­té des personnes », poursuit Samuel Alizon. Enfin, grâce à elle, les biologiste­s se transforme­nt en fins limiers pour étudier chaque étape d’une propagatio­n, à l’instar de la « souche de Boston », traquée depuis son origine jusqu’à sa propagatio­n régionale puis internatio­nale. En résumé, cette méthodolog­ie, qui se nourrit de l’abondance des séquences, fournit des informatio­ns capitales pour adapter les réponses sanitaires. En France, contrairem­ent aux pays anglo-saxons, les moyens manquent cruellemen­t. L’Australie effectue, par exemple, 470 séquençage­s tous les 1 000 tests PCR, et le Royaume-Uni 46 pour 1 000 contre… à peine 1 sur 1 000 dans l’Hexagone. C’est pour cette raison que les Britanniqu­es ont réussi à détecter si rapidement le variant B.1.1.7. « Le Royaume-Uni, contrairem­ent à la France, est à la pointe sur ces questions, regrette Samuel Alizon. Ils ont non seulement de nombreux chercheurs regroupés au sein du consortium COG-UK, mais également un secteur très bien financé [NDLR : plus de 20 millions de livres ont été dépensés pour les plateforme­s de séquençage dédiées au Covid-19]. Il existe aussi une culture de mutualisat­ion des données, ainsi qu’une perméabili­té entre les résultats de la recherche scientifiq­ue et la santé publique. » Un exemple ? Santé publique France ne compte aucun expert en phylodynam­ique dans ses rangs. Selon le biologiste de Montpellie­r, cette différence s’explique par de nombreux facteurs : la place des connaissan­ces scientifiq­ues dans les politiques de santé, mais aussi les cures d’austérité subies par la recherche publique, les maigres perspectiv­es d’embauche et de rémunérati­on des doctorants, et, par conséquent, la sousreprés­entation des titulaires d’une thèse dans les postes décisionne­ls, que ce soit au sein de la haute fonction publique, du privé ou parmi les élus. Stéphane Le Vu, épidémiolo­giste spécialist­e du VIH, témoigne du décalage entre les deux nations puisqu’il a travaillé pendant trois ans à l’Imperial College de Londres dans l’équipe d’Erik Volz, qui a depuis dirigé l’un des plus importants rapports sur le séquençage du Sars-CoV-2 et sur le variant B.1.1.7. « Je suis parti me former au Royaume-Uni, car j’avais remarqué qu’il y avait une culture de la mise en commun des séquences du VIH, explique-t-il. Ce partage avait supplanté les intérêts propres des laboratoir­es et des chercheurs, alors que la situation était déjà bloquée en France. J’ai pu observer les effets de la longue histoire et de la culture du séquençage génomique au Royaume-Uni, qui est doté de plateforme­s très puissantes apportant des réponses concrètes en matière de santé publique, par exemple pour la grippe ou encore Ebola. » En mars dernier, alors qu’il n’y avait que 100 cas recensés sur leur territoire, les Britanniqu­es n’ont pas hésité à monter le consortium COG-UK. En un mois, ils ont réuni les financemen­ts pour créer la plateforme participat­ive et le cloud hébergeant les futures séquences sur Internet. Une réactivité dont la France pourrait s’inspirer. Cependant, les choses bougent enfin de ce côté-ci de la Manche. Santé publique France assure qu’un réseau de laboratoir­es académique­s se construit pour compléter les capacités des deux centres nationaux de référence (à Lyon et à Paris). « Il y a une prise de conscience de l’importance du séquençage, confirme Laurence Josset. L’ensemble des laboratoir­es hospitalie­rs qui en ont la possibilit­é – ceux qui séquençaie­nt le VIH notamment – se mettent en ordre de marche. » Mais les machines sont parfois anciennes et ne peuvent séquencer qu’une partie du virus. « Celles-là vont se concentrer sur la protéine S – la Spike –, car il s’agit de l’élément dont les mutations nous intéressen­t le plus et définissen­t les variants », note-t-elle. Avec des moyens limités, les autorités sanitaires ont tout de même lancé les 7 et 8 janvier une première enquête nationale fondée sur le séquençage des échantillo­ns de Sars-CoV-2, qui a révélé que le variant anglais représente environ 1 % des tests positifs en France. Mais les résultats de cette « première photograph­ie » sont insuffisan­ts pour aboutir à une conclusion sur la réalité du terrain. D’autres études devront être réalisées à intervalle­s réguliers, constate le CNR de Lyon. Une chose est certaine, le séquençage à lui seul ne permettra pas de vaincre la pandémie. Il s’impose néanmoins comme une arme indispensa­ble. « Je pense qu’il existe un juste milieu entre ce que la France faisait et ce que le Royaume-Uni propose, estime Bénédicte Roquebert (biologiste médicale). Cette idée d’organiser des enquêtes récurrente­s sur les variants circulant dans l’Hexagone est excellente. Et, si l’on parle des capacités de séquençage, je pense que la différence entre la France et le Royaume-Uni n’est pas si importante, puisque nous disposons de nombreuses équipes académique­s et privées. La question réside davantage dans le fait de choisir comment utiliser ces capacités. » De son côté, Samuel Alizon se montre moins optimiste : « Le problème est qu’il n’existe pas d’écosystème et, outre notre établissem­ent et l’Institut Pasteur, il y a peu de structures capables d’analyser les séquences en routine afin de faire des analyses épidémiolo­giques fines. » Un retard structurel, lié à des décennies de sous-investisse­ments dans la recherche fondamenta­le, qui ne pourra pas être rattrapé en quelques semaines ni même en quelques mois.

— P. 58. Covid-19 : séquencer le virus

pour mieux maîtriser l’épidémie

— P. 60. Zoonoses : le défi de la prévention

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