Covid-19 : séquencer le virus pour mieux maîtriser la pandémie
L’analyse du génome du Sars-CoV-2 pour en débusquer les moindres mutations est devenue, comme l’ont montré les récentes découvertes de différents variants, un outil incontournable.
Chaque jour, l’épidémie de Covid-19 progresse inexorablement. Le Sars-CoV-2 se réplique, mute, puis se transforme. Les scientifiques doivent donc le surveiller en permanence. Notamment grâce au séquençage de son génome, mais aussi en l’analysant finement grâce à la phylodynamique, une discipline récente qui vise à collecter de précieuses informations pour lutter contre lui : « Savoir où une souche particulière se propage, estimer la date de son apparition, déterminer les durées de contagiosité, évaluer le nombre d’individus porteurs ou encore identifier les événements de superpropagation », résume Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS dans l’équipe Evolution théorique et expérimentale du laboratoire Mivegec, à Montpellier. Une telle enquête débute par les prélèvements nasopharyngés effectués chez les personnes potentiellement infectées, qui sont ensuite analysés par des tests PCR ou antigéniques. S’ils se révèlent positifs, ils sont transmis à des laboratoires pour être séquencés. « Lorsque nous recevons un échantillon, nous procédons à une extraction des acides nucléiques [NDLR : l’ARN, soit le code génétique du Sars-CoV-2], grâce à des appareils automatisés, puis nous amplifions le virus avant d’envoyer le résultat dans une machine susceptible de donner l’intégralité de la séquence », détaille Laurence Josset, virologue aux Hospices civils de Lyon, chargée du séquençage au centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires de la métropole lyonnaise. Vient alors l’étape du « profilage », afin d’effectuer une analyse complète de la séquence génétique. Objectif : identifier la pluralité des modifications du virus et ainsi cataloguer les variants. « C’est ce que montre l’outil Nexstrain, une base de données surveillant l’évolution des différentes souches partout dans le monde », ajoute-t-elle. Pour chaque séquence analysée, les généticiens recourent à des programmes informatiques et à des modèles statistiques élaborés pour repérer les variants du virus. Avec la date du prélèvement, ils peuvent créer un arbre généalogique du virus. De cette manière, les chercheurs ont réussi découvrir des variants britannique B.1.1.7 et sud-africain 501.V2, mais ils ont aussi pu suivre leur progression par rapport aux autres souches.
La souche « originale » aurait émergé entre août et novembre 2019 en Chine
« Cette technique de détection d’un virus mutant, dont les capacités d’infection changent ou qui échappe aux vaccins, est connue depuis les années 1990, précise Samuel Alizon. Les spécialistes l’utilisent couramment pour le VIH : ils vérifient systématiquement, pour chaque patient, la grippe, afin de connaître son profil de résistance aux traitements et d’adapter ces derniers au cas par cas. » De la même manière, les chercheurs du CNR de Lyon traquent le virus de la grippe, dont la faculté à muter est considérable. « Chaque année, nous parvenons à déterminer quel variant de la grippe circule afin de prédire le nouveau vaccin », constate Laurence Josset. Mais l’intérêt de la phylodynamique va plus loin. Cette discipline aide à remonter le temps. Il a ainsi été possible de dater l’apparition de l’épidémie : en étudiant le génome du Sars-CoV-2, les scientifiques ont calculé combien de nouvelles mutations se manifestent par mois et ont ainsi considéré que la souche « originale » aurait émergé entre août et novembre 2019 en Chine. « Elle permet aussi d’apprécier le taux de croissance d’une épidémie, le fameux R0, mais aussi, potentiellement, la durée de la période infectieuse, soit la durée de contagiosité des personnes », poursuit Samuel Alizon. Enfin, grâce à elle, les biologistes se transforment en fins limiers pour étudier chaque étape d’une propagation, à l’instar de la « souche de Boston », traquée depuis son origine jusqu’à sa propagation régionale puis internationale. En résumé, cette méthodologie, qui se nourrit de l’abondance des séquences, fournit des informations capitales pour adapter les réponses sanitaires. En France, contrairement aux pays anglo-saxons, les moyens manquent cruellement. L’Australie effectue, par exemple, 470 séquençages tous les 1 000 tests PCR, et le Royaume-Uni 46 pour 1 000 contre… à peine 1 sur 1 000 dans l’Hexagone. C’est pour cette raison que les Britanniques ont réussi à détecter si rapidement le variant B.1.1.7. « Le Royaume-Uni, contrairement à la France, est à la pointe sur ces questions, regrette Samuel Alizon. Ils ont non seulement de nombreux chercheurs regroupés au sein du consortium COG-UK, mais également un secteur très bien financé [NDLR : plus de 20 millions de livres ont été dépensés pour les plateformes de séquençage dédiées au Covid-19]. Il existe aussi une culture de mutualisation des données, ainsi qu’une perméabilité entre les résultats de la recherche scientifique et la santé publique. » Un exemple ? Santé publique France ne compte aucun expert en phylodynamique dans ses rangs. Selon le biologiste de Montpellier, cette différence s’explique par de nombreux facteurs : la place des connaissances scientifiques dans les politiques de santé, mais aussi les cures d’austérité subies par la recherche publique, les maigres perspectives d’embauche et de rémunération des doctorants, et, par conséquent, la sousreprésentation des titulaires d’une thèse dans les postes décisionnels, que ce soit au sein de la haute fonction publique, du privé ou parmi les élus. Stéphane Le Vu, épidémiologiste spécialiste du VIH, témoigne du décalage entre les deux nations puisqu’il a travaillé pendant trois ans à l’Imperial College de Londres dans l’équipe d’Erik Volz, qui a depuis dirigé l’un des plus importants rapports sur le séquençage du Sars-CoV-2 et sur le variant B.1.1.7. « Je suis parti me former au Royaume-Uni, car j’avais remarqué qu’il y avait une culture de la mise en commun des séquences du VIH, explique-t-il. Ce partage avait supplanté les intérêts propres des laboratoires et des chercheurs, alors que la situation était déjà bloquée en France. J’ai pu observer les effets de la longue histoire et de la culture du séquençage génomique au Royaume-Uni, qui est doté de plateformes très puissantes apportant des réponses concrètes en matière de santé publique, par exemple pour la grippe ou encore Ebola. » En mars dernier, alors qu’il n’y avait que 100 cas recensés sur leur territoire, les Britanniques n’ont pas hésité à monter le consortium COG-UK. En un mois, ils ont réuni les financements pour créer la plateforme participative et le cloud hébergeant les futures séquences sur Internet. Une réactivité dont la France pourrait s’inspirer. Cependant, les choses bougent enfin de ce côté-ci de la Manche. Santé publique France assure qu’un réseau de laboratoires académiques se construit pour compléter les capacités des deux centres nationaux de référence (à Lyon et à Paris). « Il y a une prise de conscience de l’importance du séquençage, confirme Laurence Josset. L’ensemble des laboratoires hospitaliers qui en ont la possibilité – ceux qui séquençaient le VIH notamment – se mettent en ordre de marche. » Mais les machines sont parfois anciennes et ne peuvent séquencer qu’une partie du virus. « Celles-là vont se concentrer sur la protéine S – la Spike –, car il s’agit de l’élément dont les mutations nous intéressent le plus et définissent les variants », note-t-elle. Avec des moyens limités, les autorités sanitaires ont tout de même lancé les 7 et 8 janvier une première enquête nationale fondée sur le séquençage des échantillons de Sars-CoV-2, qui a révélé que le variant anglais représente environ 1 % des tests positifs en France. Mais les résultats de cette « première photographie » sont insuffisants pour aboutir à une conclusion sur la réalité du terrain. D’autres études devront être réalisées à intervalles réguliers, constate le CNR de Lyon. Une chose est certaine, le séquençage à lui seul ne permettra pas de vaincre la pandémie. Il s’impose néanmoins comme une arme indispensable. « Je pense qu’il existe un juste milieu entre ce que la France faisait et ce que le Royaume-Uni propose, estime Bénédicte Roquebert (biologiste médicale). Cette idée d’organiser des enquêtes récurrentes sur les variants circulant dans l’Hexagone est excellente. Et, si l’on parle des capacités de séquençage, je pense que la différence entre la France et le Royaume-Uni n’est pas si importante, puisque nous disposons de nombreuses équipes académiques et privées. La question réside davantage dans le fait de choisir comment utiliser ces capacités. » De son côté, Samuel Alizon se montre moins optimiste : « Le problème est qu’il n’existe pas d’écosystème et, outre notre établissement et l’Institut Pasteur, il y a peu de structures capables d’analyser les séquences en routine afin de faire des analyses épidémiologiques fines. » Un retard structurel, lié à des décennies de sous-investissements dans la recherche fondamentale, qui ne pourra pas être rattrapé en quelques semaines ni même en quelques mois.
— P. 58. Covid-19 : séquencer le virus
pour mieux maîtriser l’épidémie
— P. 60. Zoonoses : le défi de la prévention