Zoonoses : le défi de la prévention
Réduire le risque d’émergence d’une nouvelle pandémie d’origine animale semble possible. Mais le chantier est immense.
L’arrivée des vaccins nous permettra peut-être d’en finir avec l’épidémie de Covid-19. Et après ? « A l’avenir, il y aura d’autres zoonoses. Leur fréquence augmente depuis quelques dizaines d’années », prévient Gwenaël Vourc’h, directrice adjointe de l’unité épidémiologie vétérinaire à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Rien d’étonnant : les animaux domestiques, vecteurs de maladies, ont vu leur part dans la masse vertébrée mondiale (67 %) largement augmenter depuis le néolithique. Parallèlement, les zones non impactées par les activités humaines se sont réduites, ce qui favorise les interactions entre l’homme et la faune sauvage. Lancée le 11 janvier, lors du One Planet Summit pour la biodiversité, l’initiative Prezode cherche justement à prévenir les risques de pandémie. Mais le chantier est immense. « Il existe déjà des dispositifs de surveillance, mis en place en Europe après l’épidémie de la vache folle, et en Chine après les épisodes de la grippe aviaire. Certains fonctionnent aussi en Afrique, notamment pour le suivi d’Ebola », détaille Frédéric Keck, directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, à Paris. Destinée à augmenter nos capacités de détection, l’idée « d’animaux sentinelles » fait son chemin. Elle consiste à faire du suivi sanitaire et/ou des prélèvements sur diverses espèces (grands singes, poulets d’élevage, chauves-souris, etc.) afin d’anticiper le retour d’épidémies connues ou de faire progresser nos connaissances à l’aide d’analyses génétiques. Mais au-delà de la controverse – on ne sait toujours pas si le virus Sars-CoV-2 provient d’un laboratoire ou d’un marché d’animaux –, la prévention souffre d’un manque de données et de coordination entre les pays. « Il faudrait des systèmes permettant aux vétérinaires de faire remonter des cas inattendus. Et comme ces médecins ne sont pas très entraînés à l’épidémiologie, il serait utile de les former », estime Frédéric Keck. « On pourrait mettre au point une surveillance basée sur des données syndromiques. Dans ce cas, on ne chercherait pas l’agent pathogène lui-même, mais des événements anormaux liés à l’état de santé d’une population comme, par exemple, une hausse des achats de jus d’orange chez l’homme », imagine Gwenaël Vourc’h. « Nous manquons de données sur la notion même de contact entre humains et animaux. Or c’est une étape clef », constate Victor Narat, anthropologue au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur au CNRS. Quelques études se focalisent sur les pratiques à risque comme la chasse et la découpe du gibier. Mais elles sont rares et manquent de précision. Avec son collègue Romain Duda, en post-doctorat à l’Institut Pasteur, le chercheur classe donc les contacts physiques en catégories, mesure leur fréquence d’apparition sur deux sites en Afrique centrale. Ce travail précieux nourrira peut-être les modèles épidémiologiques de demain. « Avec ces outils numériques, on peut voir plus rapidement ce qui se passe et lancer des alertes plus tôt », assure Gwenaël Vourc’h. « Toutefois, vouloir prédire le lieu, le moment, la source animale et le type de pathogène de la prochaine pandémie reste impossible », avertit Victor Narat. La meilleure stratégie consiste donc à approfondir nos connaissances tout en se méfiant des solutions réductrices telles que les aires protégées, censées agir comme un tampon entre l’homme et le monde animal. « Récemment, plusieurs grandes institutions les ont développées avec, en creux, l’idée que plus ces aires sont nombreuses, plus cela va diminuer le risque d’émergence de nouvelles maladies infectieuses. Mais ce n’est pas ce que montrent les travaux menés sur le terrain, notamment en Afrique de l’Ouest, explique Vincent Leblan, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement. En effet, ces zones sont “subies” : les autochtones y entrent quand même et les animaux peuvent en sortir, ce qui n’entraîne pas de diminution des contacts. » Par ailleurs, le développement de la biodiversité grâce aux aires protégées favorise-t-il – ou pas – la propagation d’agents pathogènes ? « Sur un plan théorique, cette question n’est pas tranchée », indique le chercheur. En fait, le plus efficace pour minimiser les risques serait de modifier nos comportements à l’échelle de la planète. « L’argument principal des écologues, c’est que l’élevage industriel favorise les zoonoses », rappelle Frédéric Keck. « Il nous faut repenser en profondeur notre utilisation des ressources de la planète », abonde Gwenaël Vourc’h. Mais cette idée, pour l’heure, n’a pas encore suffisamment contaminé les esprits.