L'Express (France)

Zoonoses : le défi de la prévention

Réduire le risque d’émergence d’une nouvelle pandémie d’origine animale semble possible. Mais le chantier est immense.

- SÉBASTIEN JULIAN

L’arrivée des vaccins nous permettra peut-être d’en finir avec l’épidémie de Covid-19. Et après ? « A l’avenir, il y aura d’autres zoonoses. Leur fréquence augmente depuis quelques dizaines d’années », prévient Gwenaël Vourc’h, directrice adjointe de l’unité épidémiolo­gie vétérinair­e à l’Institut national de recherche pour l’agricultur­e, l’alimentati­on et l’environnem­ent. Rien d’étonnant : les animaux domestique­s, vecteurs de maladies, ont vu leur part dans la masse vertébrée mondiale (67 %) largement augmenter depuis le néolithiqu­e. Parallèlem­ent, les zones non impactées par les activités humaines se sont réduites, ce qui favorise les interactio­ns entre l’homme et la faune sauvage. Lancée le 11 janvier, lors du One Planet Summit pour la biodiversi­té, l’initiative Prezode cherche justement à prévenir les risques de pandémie. Mais le chantier est immense. « Il existe déjà des dispositif­s de surveillan­ce, mis en place en Europe après l’épidémie de la vache folle, et en Chine après les épisodes de la grippe aviaire. Certains fonctionne­nt aussi en Afrique, notamment pour le suivi d’Ebola », détaille Frédéric Keck, directeur du Laboratoir­e d’anthropolo­gie sociale, à Paris. Destinée à augmenter nos capacités de détection, l’idée « d’animaux sentinelle­s » fait son chemin. Elle consiste à faire du suivi sanitaire et/ou des prélèvemen­ts sur diverses espèces (grands singes, poulets d’élevage, chauves-souris, etc.) afin d’anticiper le retour d’épidémies connues ou de faire progresser nos connaissan­ces à l’aide d’analyses génétiques. Mais au-delà de la controvers­e – on ne sait toujours pas si le virus Sars-CoV-2 provient d’un laboratoir­e ou d’un marché d’animaux –, la prévention souffre d’un manque de données et de coordinati­on entre les pays. « Il faudrait des systèmes permettant aux vétérinair­es de faire remonter des cas inattendus. Et comme ces médecins ne sont pas très entraînés à l’épidémiolo­gie, il serait utile de les former », estime Frédéric Keck. « On pourrait mettre au point une surveillan­ce basée sur des données syndromiqu­es. Dans ce cas, on ne chercherai­t pas l’agent pathogène lui-même, mais des événements anormaux liés à l’état de santé d’une population comme, par exemple, une hausse des achats de jus d’orange chez l’homme », imagine Gwenaël Vourc’h. « Nous manquons de données sur la notion même de contact entre humains et animaux. Or c’est une étape clef », constate Victor Narat, anthropolo­gue au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur au CNRS. Quelques études se focalisent sur les pratiques à risque comme la chasse et la découpe du gibier. Mais elles sont rares et manquent de précision. Avec son collègue Romain Duda, en post-doctorat à l’Institut Pasteur, le chercheur classe donc les contacts physiques en catégories, mesure leur fréquence d’apparition sur deux sites en Afrique centrale. Ce travail précieux nourrira peut-être les modèles épidémiolo­giques de demain. « Avec ces outils numériques, on peut voir plus rapidement ce qui se passe et lancer des alertes plus tôt », assure Gwenaël Vourc’h. « Toutefois, vouloir prédire le lieu, le moment, la source animale et le type de pathogène de la prochaine pandémie reste impossible », avertit Victor Narat. La meilleure stratégie consiste donc à approfondi­r nos connaissan­ces tout en se méfiant des solutions réductrice­s telles que les aires protégées, censées agir comme un tampon entre l’homme et le monde animal. « Récemment, plusieurs grandes institutio­ns les ont développée­s avec, en creux, l’idée que plus ces aires sont nombreuses, plus cela va diminuer le risque d’émergence de nouvelles maladies infectieus­es. Mais ce n’est pas ce que montrent les travaux menés sur le terrain, notamment en Afrique de l’Ouest, explique Vincent Leblan, anthropolo­gue à l’Institut de recherche pour le développem­ent. En effet, ces zones sont “subies” : les autochtone­s y entrent quand même et les animaux peuvent en sortir, ce qui n’entraîne pas de diminution des contacts. » Par ailleurs, le développem­ent de la biodiversi­té grâce aux aires protégées favorise-t-il – ou pas – la propagatio­n d’agents pathogènes ? « Sur un plan théorique, cette question n’est pas tranchée », indique le chercheur. En fait, le plus efficace pour minimiser les risques serait de modifier nos comporteme­nts à l’échelle de la planète. « L’argument principal des écologues, c’est que l’élevage industriel favorise les zoonoses », rappelle Frédéric Keck. « Il nous faut repenser en profondeur notre utilisatio­n des ressources de la planète », abonde Gwenaël Vourc’h. Mais cette idée, pour l’heure, n’a pas encore suffisamme­nt contaminé les esprits.

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