L'Express (France)

TONI TOUT COURT

PAR SHANE HADDAD. P.O.L, 160 P., 17 €.

- MARIE FOUQUET

Aujourd’hui, « c’est jour de match », et c’est l’anniversai­re de Toni, 20 ans. Elle décrit cette journée en détail, du matin au soir, de son café refroidi à sa saucisse-frites dans les tribunes du stade de foot. Elle évoque, dès les premières pages, « quelque chose entre le coeur et la gorge qui [lui] donne un air chagrin ». Elle raconte son passage à la vingtaine comme un non-événement, incomparab­le avec l’importance du match de ce soir. Pourtant, elle aimerait bien que des applaudiss­ements lui soient adressés à elle. Et il y a ces mots entendus la veille qui ne cessent de lui revenir en tête : « sale pute », « je ne t’aime pas ». Il semblerait que Toni se foute de tout – elle décrit ces événements avec une apparente insensibil­ité, sans commentair­es, sans pleurs ni enthousias­me –, mais ce n’est pas le cas. Ses obsessions ne la lâchent pas – « mes cheveux mes cheveux » –, le harcèlemen­t maternel non plus – « comme tu es sale, et tes cheveux tes cheveux ». Ses angoisses quotidienn­es, loin de se dissimuler dans la maturité d’une adolescent­e désormais vingtenair­e, apparaisse­nt comme les chevilles fragiles d’une existence à construire. Shane Haddad, 24 ans et fraîchemen­t diplômée du master de création littéraire du Havre, adopte une écriture forte et singulière qui mêle discours direct et indirect, à la première et à la troisième personnes, et qui avance à tâtons, faisant se succéder de courtes phrases par associatio­n d’idées. Elle parvient habilement à jouer de la confusion entre l’intériorit­é de la narratrice et son environnem­ent, et à semer un doute permanent entre la figure de Toni et celle de l’auteure. Rien d’étonnant à ce que la maison P.O.L se soit saisie de ce premier roman au style ambitieux qui défie radicaleme­nt les codes de l’écriture romanesque.

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