Sanofi, miroir du déclassement français
PAR STÉPHANIE BENZ, EMMANUEL BOTTA ET BÉATRICE MATHIEU
L’incapacité de la France de sortir son propre vaccin illustre la misère de sa recherche et sa difficulté à innover.
Un fiasco. Evidemment, le mot est dur pour qualifier le retard du géant français du médicament dans la course au vaccin anti-Covid. D’autant, reconnaissons-le, qu’une année, voire dixhuit mois pour mettre au point ce précieux sérum reste une prouesse scientifique historique. Il n’empêche. D’autres laboratoires, plus modestes et moins affûtés que Sanofi dans le domaine ont, eux, relevé avec succès le défi. Cet incroyable raté, dévastateur en termes d’image, n’est pas que le fruit de la malchance, comme le martèlent les dirigeants du groupe tricolore. En réalité, il en dit long sur le champion français, ses lourdeurs internes, sa gouvernance chahutée, ses décisions tardives, sa difficulté à innover. Comme si les errements de Sanofi épousaient ceux de la France, hantée par le spectacle de son propre déclin. Hasard cruel du calendrier : le jour même où une autre icône française, l’Institut Pasteur, annonçait l’abandon pur et simple de son propre projet de vaccin, le Conseil d’analyse économique – un think tank indépendant placé auprès du Premier ministre – publiait un rapport sanglant sur le retard pris par la France dans l’innovation médicale. « A toutes les étapes du cycle de vie d’un médicament, l’Hexagone est en retard par rapport à ses concurrents », résume l’économiste Anne Perrot, coauteure de l’étude. Les chiffres font mal. Entre 2011 et 2018, les financements publics pour la recherche fondamentale ont diminué de 28 % en France quand ils progressaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni. Les partenariats entre laboratoires publics et grandes entreprises privées sont nettement moins développés chez nous qu’à l’étranger, ce qui limite la transformation des découvertes en produits commercialisables. Quant aux fonds privés, ils sont, eux aussi, chroniquement insuffisants pour faire grandir les pépites de la biotech, qui préfèrent le plus souvent partir sous des cieux anglo-saxons plus généreux. Le pompon : l’organisation des essais cliniques, qui laisse aussi à désirer par rapport aux standards internationaux. Dénoncer n’est pas guérir. Mais regarder froidement notre débâcle permettra peut-être de sortir du déni, et de nous donner les moyens, enfin, de renouer avec l’excellence.