Le budget des communes de montagne dans le rouge
Privés des taxes sur les remontées mécaniques et de séjour, les villages des stations de sports d’hiver voient leurs recettes fondre. Au point de mettre en péril leurs projets de modernisation.
ACourchevel, d’ordinaire, on ne compte pas. Sauf cette année. Avec la fermeture du domaine skiable des Trois-Vallées et la disparition des touristes, russes et britanniques notamment, c’est presque une station fantôme qui s’enfonce dans l’hiver. Loin du strass et des paillettes du monde d’avant. Il n’y a pas que les restaurants, les palaces et les loueurs de skis qui broient du noir. Chaque jour, JeanYves Pachod, le maire de la commune savoyarde, fait et refait ses comptes : plus de taxes sur les remontées mécaniques, plus de taxes sur les terrasses, plus de taxes de séjour… Selon ses premières estimations, la perte de recettes s’élèverait à 12,7 millions d’euros, pour un budget annuel avoisinant les 40 millions. Tous les acteurs de l’« écosystème de la neige » évoquent sa paralysie due à l’arrêt de leur activité principale, le ski alpin. En bout de chaîne, les communes qui tirent de la gestion des domaines skiables de substantielles rentrées sont frappées de plein fouet. Cette manne est désormais réduite à néant, ou presque. « Depuis des années, on a construit pas à pas une machine touristique hors pair, mais tout se grippe quand les touristes ne sont plus là », constate avec amertume Claude Jay, le maire des Belleville, nouvelle commune savoyarde qui accueille sur son territoire une partie du domaine des Trois-Vallées. La fenêtre est étroite : quatre ou cinq mois d’hiver permettent souvent de réaliser près de 80 % des recettes de l’année. Or 2021 sera une année blanche. Le gouvernement, qui prévoyait des « canons à indemnisations » à la place des canons à neige, a offert une première solution aux collectivités le 25 janvier. Les communes ayant des revenus liés au tourisme d’hiver « sont assurées de percevoir au minimum ce qu’elles percevaient en 2019 en taxes de séjour et de remontées mécaniques », a promis le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt. « La taxe de séjour est même assurée à son niveau de 2019 et non au niveau moyen de 2017-2019, contrairement aux autres impôts, de manière à prendre en compte les effets particuliers de la crise sur le tourisme », détaille l’entourage du ministre. « C’est un bon signe, mais ce n’est pas suffisant pour tenir nos coûts jusqu’à décembre prochain », réagit le maire de Tignes (Savoie), Serge Revial. Selon cet édile, d’autres sources de revenus des communes sont aussi touchées. La contribution économique territoriale, l’ancienne taxe professionnelle, par exemple, ne sera pas garantie. « Comment les entreprises vontelles pouvoir la payer avec la crise ? Pour nous, ce sont encore environ 3 millions d’euros qui sont en suspens », relève-t-il. Pour soulager encore un peu plus leurs finances, certains maires demandent une exonération de la contribution au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, un mécanisme de redistribution des richesses entre localités. Une charge importante pour ces mairies qui se rangent d’ordinaire dans le club des villes les plus riches. Si l’urgence aujourd’hui est de réussir à équilibrer le budget pour l’année 2021, les maires anticipent déjà les effets de la crise sur leurs investissements. A BourgSaint-Maurice, commune savoyarde qui héberge la station des Arcs, on estime les pertes globales à plus de 5 millions d’euros. « Cela correspond à notre budget annuel d’investissement », prévient le maire, Guillaume Desrues. La France, fière de disposer du « plus grand domaine skiable du monde », serre les dents. Car le modèle économique des stations repose aussi sur l’investissement. « C’est entre 300 et 400 millions d’euros chaque année
qui sont injectés dans les domaines skiables. Si on cesse d’investir, le risque de rétrogradation est réel », s’inquiète Joël Retailleau, directeur général de l’Association nationale des maires des stations de montagne. D’autant que, au-delà de la modernisation des infrastructures, les communes doivent aussi réussir à sortir du « tout-ski » pour rester attractives et faire face aux défis climatiques. Pour les stations qui sont déjà engagées dans cette voie depuis quelques années, la crise pourrait bien accélérer la mutation. Aux Arcs, la transition vers une « économie des quatre saisons » pourrait « commencer beaucoup plus tôt que prévu », soutient Guillaume Desrues. L’édile des Belleville abonde : « Ce n’est pas quand tout va mal qu’il faut s’arrêter. » Continuer, donc, mais à condition de trouver des fonds.