L'Express (France)

Faut-il rendre l’inceste imprescrip­tible ?

Le livre de Camille Kouchner repose la question du délai permettant de poursuivre les auteurs de ce crime. Depuis 2018, il est fixé à trente ans après la majorité de la victime.

- PAR ISABELLE AUBRY

LOUI / « POUR QUE LA SOCIÉTÉ POSE CLAIREMENT L’INTERDIT »

’imprescrip­tibilité de l’inceste est l’une des revendicat­ions qui a conduit à la création de notre associatio­n, il y a vingt ans. A l’époque, j’avais rencontré deux victimes, toutes deux âgées de 32 ans. La première était française et lorsqu’elle a eu la force de parler et de saisir la justice contre son grand-père, l’avocate qu’elle est allée voir lui a dit, selon la loi d’alors : « Mais madame, le délai est de quatre ans, il fallait vous réveiller avant. » La seconde était québécoise. Au Canada, comme dans tous les pays de common law, il n’y a pas de prescripti­on pour les crimes les plus graves et elle a pu porter plainte contre son père. Nous considéron­s que la prescripti­on est un passeport d’impunité pour les agresseurs, elle empêche d’arrêter des violeurs d’enfants. Dans ce domaine, on avance à tout petits pas. Quand 10 % des Français sont concernés par l’inceste, quand on connaît les dégâts qu’il cause chez les victimes, instaurer des limites dans le temps, n’est-ce pas participer, se rendre complice ? Je pose la question. En défendant l’imprescrip­tibilité, nous demandons à la société de poser l’interdit, d’envoyer un message qui dit qu’elle ne tolère pas ce crime, que quelqu’un qui l’aurait commis ne sera jamais tranquille, qu’il pourra être poursuivi. La raison est simple : protéger les enfants. On le sait par les études des neuroscien­ces, la mémoire réprime les faits traumatisa­nts. Les victimes n’oublient pas forcément, elles entrent dans un déni protecteur, elles mettent les événements à distance pour ne pas être atteintes. Quand elles se sentent prêtes à parler, on ne peut pas juste leur opposer un « c’est trop tard ». Surtout qu’elles prennent souvent la parole pour protéger d’autres victimes, plus jeunes, issues de nouvelles génération­s face à des agresseurs qui, eux, ne s’arrêtent jamais. Il faut que la société les soutienne. Qui protège les enfants quand il y a prescripti­on ? L’imprescrip­tibilité serait une prise de conscience collective de la gravité des faits et des dégâts qu’ils provoquent. Et un signe de la considérat­ion que nous portons aux plus jeunes.

 ??  ?? Isabelle Aubry est la fondatrice de Face à l’inceste et auteur de La première fois, j’avais six ans… (éd. XO).
Isabelle Aubry est la fondatrice de Face à l’inceste et auteur de La première fois, j’avais six ans… (éd. XO).

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