Disparition de Tiphaine Véron : l’enquête repart
Deux ans et demi après que la jeune Française s’est volatilisée dans une ville touristique de l’archipel, le mystère reste entier. Un ténor du barreau et un célèbre détective se sont emparés de l’affaire.
La nature est magnifique à Nikko, une ville paisible et touristique, réputée pour ses 300 édifices religieux, dans le centre du Japon. Ce dimanche 29 juillet 2018, Tiphaine Véron descend prendre son petit déjeuner dans la salle à manger du Turtle Inn, petit hôtel aux murs saumon lové dans la verdure. Attablés, non loin d’elle, un couple de touristes allemands et un homme japonais, seul. Après son repas, vers 10 heures, la vacancière part faire une balade vers les temples alentour. Tiphaine s’est-elle rendue au sanctuaire Takino, plus au nord, à l’orée d’une forêt très ombragée ? Nul ne le sait. Car, ce jour-là, elle s’est volatilisée. Depuis, la Française de 36 ans, originaire du Poitou, n’a plus jamais donné signe de vie. Dans sa chambre, on a retrouvé ses affaires et son passeport, ce qui exclut tout départ précipité. Qu’est devenue Tiphaine Véron, jeune femme sans histoire de 1 mètre 62, yeux verts et cheveux châtains ? Auxiliaire de vie à Poitiers, elle s’occupait d’enfants autistes. Elle était décrite comme « curieuse, bouillonnante de vie et d’énergie ». Pas vraiment le genre à disparaître sans laisser de traces. Pianiste, polyglotte, elle adorait la culture japonaise, découverte après un premier voyage en 2013. Dans les jours qui suivent, son entourage s’inquiète. La trentenaire, épileptique, aurait-elle fait une crise ? Aucune clinique ou pharmacie de Nikko n’a pourtant été contactée le 29 juillet. La veille de la disparition, un typhon avait lessivé la région. Tiphaine aurait pu glisser sur des rochers ou se perdre en forêt. Mais son corps n’a jamais été retrouvé, alors que des fouilles intensives – jusqu’au dragage des rivières – ont débuté dès le signalement de son absence et ont duré des mois. S’agit-il d’un rapt ? Sur le chemin qui mène au sanctuaire, il y avait bien ce panneau, un peu intriguant : « Attention ! Régulièrement, dans ces environs, quelqu’un se fait passer pour un guide. Cette personne apostrophe les passants, propose de les renseigner, voire les touche physiquement. Le sanctuaire n’a mandaté personne à cet effet. » Fausse piste : « On connaît cet homme, il n’est pas en cause », a assuré un officier de police de la préfecture de Tochigi à la famille Véron. En septembre 2018, le parquet de Poitiers ouvre une information judiciaire pour « enlèvement et séquestration » – tandis que l’agence Interpol publie un avis de disparition –, mais, curieusement, pas le Japon, faute de preuves. D’après le Code pénal nippon, la suspicion ne peut suffire pour un « crime infamant ». Toute procédure criminelle dépend d’un aveu, d’un élément indiscutable ou d’une évidence visuelle. Deux ans et demi plus tard, le mystère reste entier. Pas la moindre piste et pas la moindre explication n’ont été avancées. Insoutenable pour les proches de Tiphaine, soumis à la plus terrible des épreuves : l’incertitude. Exaspérés, son frère, Damien, et sa soeur, Sibylle – qui est allée jusqu’à interpeller Emmanuel Macron et le Premier ministre japonais de l’époque, Shinzo Abe, sur le perron de l’Elysée en 2018 –, ont mis un coup de pied dans la fourmilière. Persuadés qu’il fallait reprendre l’enquête à son début, ils décident d’engager un ténor du barreau. Ils écrivent à Eric Dupond-Moretti, qui n’est pas encore garde des Sceaux. Après étude du dossier, son associé, Antoine Vey, accepte l’affaire sans hésiter en mars 2020. Première tâche, difficile, identifier les failles de l’enquête. « Certaines recherches et vérifications n’ont pas été faites, souligne l’avocat pénaliste de renom, sans doute parce qu’elles ne correspondent pas à la façon de travailler des Japonais. Nous sommes donc en train de définir un cadre – qui passera sans doute par une demande au juge d’instruction et par de nouvelles investigations à Nikko. » Pour Antoine Vey, beaucoup d’éléments suscitent des interrogations. « L’enquête japonaise privilégie un scénario exclusivement accidentel, poursuit-il. La jeune femme aurait disparu en quelques minutes en tombant quelque part, et on n’aurait pas retrouvé son corps. Il reste toutefois à vérifier des éléments, comme les traces laissées par son téléphone ou certains témoignages, pour essayer de savoir ce qui s’est passé. » C’est là qu’intervient un autre professionnel. Car les Véron, sur le conseil
d’Antoine Vey, se sont également adjoint les services d’un détective privé. Et pas n’importe lequel. Un limier de haut vol, réputé pour sa pugnacité et sa rigueur : Jean-François Abgrall. Cet ancien adjudant de gendarmerie était parvenu, au terme d’une longue traque, à confondre le tueur en série Francis Heaulme (condamné pour 11 meurtres perpétrés entre 1984 et 1992). Il avait aussi « fait tomber » Emile Louis (sept meurtres), surnommé le « boucher de l’Yonne », en 2000. A peine saisi de l’affaire, Jean-François Abgrall s’est déjà mis au travail. « J’ai commencé à analyser des données, racontet-il. Ce qui me dérange dans cette histoire, c’est qu’en cas d’accident, le corps est retrouvé tôt ou tard, surtout dans un lieu touristique. Encore plus gênant, le bornage téléphonique [signal envoyé par un téléphone portable lorsqu’il se connecte à une antenne relais] a été perdu, ce qui peut être considéré comme une “anomalie”, ou du moins comme un “élément à surveiller”, en termes d’analyse criminelle. » Le détective et son équipe locale ont commencé à investiguer là où la victime a été vue pour la dernière fois. Et à entendre des témoins qui n’avaient pas été interrogés. Jean-François Abgrall a ainsi, nous dit-il, contacté des jeunes femmes qui se seraient retrouvées « mises en danger » sur les lieux mêmes où Tiphaine Véron a disparu. Des Japonaises ? Des gaijins, c’est-à-dire des étrangères ? Le détective n’en dira pas plus « pour le bien et pour l’efficacité de l’enquête ». Mais il n’en confie pas moins sa perplexité. Le principal problème, explique-t-il, est que les recherches menées par la police japonaise « n’ont pas abordé le versant criminel, ce qui est pourtant – en théorie – la règle en cas de disparition ». Son objectif n’est donc pas d’effectuer une contre-enquête, mais de compléter celle qui a été réalisée. « Les points qui n’ont pas été traités pourront faire l’objet d’investigations complémentaires par les services de police locaux, demandées par voie diplomatique et via les accords internationaux », ajoute le détective. De quoi potentiellement combler les multiples lacunes. Parmi celles-ci, les enregistrements vidéo. Taihei Ogawa, ancien détective privé et ex-officier de police parmi les plus décorés de l’archipel, rappelle que, au Japon, « à l’entrée et à la sortie des autoroutes, toutes les plaques d’immatriculation sont filmées ». A ces endroits, comme à de nombreux péages, les automobilistes se retrouvent aussi sous l’oeil des caméras de surveillance. Or ces données n’ont pas été exploitées. Seules les images urbaines de Nikko ont été visionnées – et encore, trop furtivement. Si l’hypothèse criminelle persiste dans cette affaire, c’est que, loin de l’image d’un Japon de carte postale, entre cerisiers en fleurs et sourires polis, de sombres affaires d’enlèvement et de meurtre ont déjà été fatales à de jeunes Occidentales dans le pays. Toutes avaient des yeux bleus ou verts et des cheveux blonds ou châtains. Dans cette litanie sinistre, citons Lucie Blackman, ex-hôtesse de l’air à British Airways, violée et tuée en 2000 par un promoteur immobilier de la région de Tokyo. Lindsay Hawker, jeune professeure de 22 ans, Britannique elle aussi, retrouvée morte à Tokyo en mars 2007 chez son assassin, un ancien étudiant en horticulture de 28 ans, qui avait ensuite trompé les policiers pendant plus de deux ans en recourant à la chirurgie esthétique. Les deux meurtriers croupissent en prison, mais, au mois de décembre dernier, Takahiro Shiraishi, autre tueur en série, a été condamné à mort, après que les enquêteurs ont découvert chez lui, en 2017, les corps de neuf victimes. Des crimes qui ont horrifié le pays. Et qui rendent, pour les proches de Tiphaine, l’attente encore plus cruelle. Mais le contexte va changer, espère Damien Véron : « La demande d’actes au juge d’instruction français a de vraies chances d’aboutir et devrait permettre, via une commission rogatoire, d’exprimer des requêtes précises auprès des autorités japonaises. » Quant à la mobilisation, des associations de soutien, du comité Unis pour Tiphaine (unispourtiphaine.org), de députés ou de personnalités, tel le comédien Elie Semoun, elle apporte une aide morale et financière – alors que la famille a déjà investi 60 000 euros dans les voyages et les procédures. Qu’importent les sacrifices, le clan Véron entend continuer à se battre. Pour connaître enfin la vérité.