L'Express (France)

Le golfe de Guinée, nouvel épicentre de la piraterie mondiale

L’an dernier, 142 marins ont été enlevés dans cette zone, un record. Et la riposte reste difficile.

- PAR SÉBASTIEN HERVIEU (ABIDJAN)

Croisant à plus de 100 milles nautiques (185 kilomètres) des côtes de Sao Tomé-etPrincipe, le porte-conteneurs Mozart se pensait à l’abri. Pourtant, en cette matinée du 24 janvier, sur sa route entre Lagos et Le Cap, des pirates passent à l’abordage. L’équipage du bateau battant pavillon libérien se réfugie dans la salle des machines. Au bout de six heures, les assaillant­s réussissen­t à les déloger. Un marin azerbaïdja­nais est tué lors de l’assaut, 15 autres – tous turcs – sont enlevés. Trois seulement sont laissés à bord. « Ce n’est malheureus­ement pas une surprise, déplore Barthélemy Blédé, officier de liaison au Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest, à Abidjan. Le golfe de Guinée est désormais l’endroit au monde où il y a le plus d’incidents graves de piraterie », devant l’Asie du Sud-Est. Dans cette zone traversée chaque année par 20 000 bateaux, 114 attaques ont eu lieu l’an dernier, selon le centre d’analyse français Mica (Maritime Informatio­n Cooperatio­n & Awareness), basé à Brest. Un chiffre sans doute en deçà de la réalité, tous les incidents n’étant pas rendus publics. Surtout, les kidnapping­s sont devenus un fléau au large de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. En 2020, 142 marins y ont été enlevés. A peine moins élevé qu’en 2019, le chiffre est en hausse de 40 % en trois ans. Initialeme­nt concentrée­s dans les eaux nigérianes, les attaques s’étendent désormais aux pays voisins, du Ghana à la Guinée équatorial­e. « La physionomi­e de cette piraterie a changé depuis dix-huit à vingt-quatre mois », constate Bertrand Monnet, professeur de management des risques criminels à l’Edhec Business School. « Avant, les pirates, qui sont tous Nigérians, s’en prenaient à des cibles plus accessible­s, par exemple des bateaux ravitailla­nt les plateforme­s pétrolière­s, explique le spécialist­e, qui suit le sujet de près depuis une quinzaine d’années. Mais la sécurité s’est renforcée, et la chute du prix du baril a rendu l’activité moins attractive. Les pirates ont dû étendre leur zone de chasse beaucoup plus loin. » Les objectifs, aussi, ont évolué. Auparavant, des tankers étaient détournés, leurs cuves siphonnées, et leurs marchandis­es revendues. « Avec l’améliorati­on de la surveillan­ce, cette opération est devenue de plus en plus risquée pour les trafiquant­s, considère Dirk Siebels, analyste au sein de la compagnie de sécurité danoise Risk Intelligen­ce. Ils préfèrent désormais kidnapper, c’est plus rapide, facile, et ça rapporte davantage. » Tenus secrets, les montants des rançons sont souvent indexés sur les polices d’assurance. Des experts évoquent une moyenne de 50 000 à 100 000 dollars par tête. Le prix varie selon la nationalit­é. Dans le documentai­re réalisé en 2016 par

Bertrand Monnet, Pirates, menaces sur le commerce mondial, un Nigérian cagoulé précise à son interviewe­ur qu’un Occidental, « un gars comme [lui], c’est au moins 220 000 euros ». Le mode opératoire est rudimentai­re. La nuit, de préférence, les pirates nigérians, armés de fusils et de couteaux, abordent un navire à l’aide d’un filin, puis escaladent la coque pieds nus. « Pour trouver un bateau, ils peuvent passer quatre jours en haute mer dans des creux de 3 mètres. lls prennent des risques monumentau­x dans leurs petites embarcatio­ns rapides », juge Bertrand Monnet. Combien sont-ils ? D’où partent-ils ? Difficile de le savoir précisémen­t. Comment lutter contre cette criminalit­é maritime ? « Sur les navires, des armateurs installent des “citadelles”, c’est-àdire des chambres fortes aux portes blindées, dans lesquelles l’équipage peut se réfugier en attendant l’arrivée des secours », rapporte Dirk Siebels. Des gardes armés montent parfois à bord, mais cette solution – outre les problèmes de légalité qu’elle pose – risque d’accroître la violence des pirates. Depuis l’adoption du processus de Yaoundé en 2013, les Etats de la région tentent de coordonner leur riposte. « Il faut plus d’équipement­s de surveillan­ce, plus de formations, plus de patrouille­urs », liste Barthélemy Blédé, missionné sur ce projet. Des efforts sont faits, en particulie­r par le Nigeria. La France apporte également une aide substantie­lle. Mais les moyens et la volonté politique des pays concernés demeurent limités. « A long terme, la solution se trouve à terre », estime Bertrand Monnet. « Ces anciens pêcheurs et paysans sont devenus pirates car il n’y a pas d’avenir dans leur région du delta du Niger, pourtant riche en pétrole, poursuit le chercheur. Tant que cette manne ne sera pas redistribu­ée vers eux et leurs familles, tout cela continuera. »

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