Le golfe de Guinée, nouvel épicentre de la piraterie mondiale
L’an dernier, 142 marins ont été enlevés dans cette zone, un record. Et la riposte reste difficile.
Croisant à plus de 100 milles nautiques (185 kilomètres) des côtes de Sao Tomé-etPrincipe, le porte-conteneurs Mozart se pensait à l’abri. Pourtant, en cette matinée du 24 janvier, sur sa route entre Lagos et Le Cap, des pirates passent à l’abordage. L’équipage du bateau battant pavillon libérien se réfugie dans la salle des machines. Au bout de six heures, les assaillants réussissent à les déloger. Un marin azerbaïdjanais est tué lors de l’assaut, 15 autres – tous turcs – sont enlevés. Trois seulement sont laissés à bord. « Ce n’est malheureusement pas une surprise, déplore Barthélemy Blédé, officier de liaison au Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest, à Abidjan. Le golfe de Guinée est désormais l’endroit au monde où il y a le plus d’incidents graves de piraterie », devant l’Asie du Sud-Est. Dans cette zone traversée chaque année par 20 000 bateaux, 114 attaques ont eu lieu l’an dernier, selon le centre d’analyse français Mica (Maritime Information Cooperation & Awareness), basé à Brest. Un chiffre sans doute en deçà de la réalité, tous les incidents n’étant pas rendus publics. Surtout, les kidnappings sont devenus un fléau au large de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. En 2020, 142 marins y ont été enlevés. A peine moins élevé qu’en 2019, le chiffre est en hausse de 40 % en trois ans. Initialement concentrées dans les eaux nigérianes, les attaques s’étendent désormais aux pays voisins, du Ghana à la Guinée équatoriale. « La physionomie de cette piraterie a changé depuis dix-huit à vingt-quatre mois », constate Bertrand Monnet, professeur de management des risques criminels à l’Edhec Business School. « Avant, les pirates, qui sont tous Nigérians, s’en prenaient à des cibles plus accessibles, par exemple des bateaux ravitaillant les plateformes pétrolières, explique le spécialiste, qui suit le sujet de près depuis une quinzaine d’années. Mais la sécurité s’est renforcée, et la chute du prix du baril a rendu l’activité moins attractive. Les pirates ont dû étendre leur zone de chasse beaucoup plus loin. » Les objectifs, aussi, ont évolué. Auparavant, des tankers étaient détournés, leurs cuves siphonnées, et leurs marchandises revendues. « Avec l’amélioration de la surveillance, cette opération est devenue de plus en plus risquée pour les trafiquants, considère Dirk Siebels, analyste au sein de la compagnie de sécurité danoise Risk Intelligence. Ils préfèrent désormais kidnapper, c’est plus rapide, facile, et ça rapporte davantage. » Tenus secrets, les montants des rançons sont souvent indexés sur les polices d’assurance. Des experts évoquent une moyenne de 50 000 à 100 000 dollars par tête. Le prix varie selon la nationalité. Dans le documentaire réalisé en 2016 par
Bertrand Monnet, Pirates, menaces sur le commerce mondial, un Nigérian cagoulé précise à son intervieweur qu’un Occidental, « un gars comme [lui], c’est au moins 220 000 euros ». Le mode opératoire est rudimentaire. La nuit, de préférence, les pirates nigérians, armés de fusils et de couteaux, abordent un navire à l’aide d’un filin, puis escaladent la coque pieds nus. « Pour trouver un bateau, ils peuvent passer quatre jours en haute mer dans des creux de 3 mètres. lls prennent des risques monumentaux dans leurs petites embarcations rapides », juge Bertrand Monnet. Combien sont-ils ? D’où partent-ils ? Difficile de le savoir précisément. Comment lutter contre cette criminalité maritime ? « Sur les navires, des armateurs installent des “citadelles”, c’est-àdire des chambres fortes aux portes blindées, dans lesquelles l’équipage peut se réfugier en attendant l’arrivée des secours », rapporte Dirk Siebels. Des gardes armés montent parfois à bord, mais cette solution – outre les problèmes de légalité qu’elle pose – risque d’accroître la violence des pirates. Depuis l’adoption du processus de Yaoundé en 2013, les Etats de la région tentent de coordonner leur riposte. « Il faut plus d’équipements de surveillance, plus de formations, plus de patrouilleurs », liste Barthélemy Blédé, missionné sur ce projet. Des efforts sont faits, en particulier par le Nigeria. La France apporte également une aide substantielle. Mais les moyens et la volonté politique des pays concernés demeurent limités. « A long terme, la solution se trouve à terre », estime Bertrand Monnet. « Ces anciens pêcheurs et paysans sont devenus pirates car il n’y a pas d’avenir dans leur région du delta du Niger, pourtant riche en pétrole, poursuit le chercheur. Tant que cette manne ne sera pas redistribuée vers eux et leurs familles, tout cela continuera. »