Laïcité : terrain miné, le gouvernement cherche une solution
Après les polémiques autour de l’Observatoire dédié à cette problématique, plusieurs pistes sont à l’étude pour inventer une nouvelle structure.
Le sujet est sensible ; le contexte, crispé avec les débats sur le séparatisme ; le gouvernement, divisé... Alors la décision finale sera prise dans le bureau d’Emmanuel Macron. Le gouvernement cherche à enterrer le fameux Observatoire de la laïcité et à éloigner ses deux figures principales, JeanLouis Bianco et Nicolas Cadène, sans en faire des martyrs de la cause. Le 15 janvier, la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, a présenté ses propositions à Jean Castex tandis qu’au même moment, ou presque, le directeur de cabinet de ce dernier, Nicolas Revel, recevait JeanLouis Bianco et Nicolas Cadène pour la remise du rapport annuel – en toute petite pompe, donc. Le Premier ministre s’apprête à rendre ses arbitrages, mais il a décidé d’en discuter préalablement avec le chef de l’Etat. Attention, terrain miné.
Depuis l’automne 2020, l’exécutif a décidé de faire un sort à l’Observatoire de la laïcité, dont les positions sont jugées insuffisamment fermes face à l’islamisme. En octobre dernier, Jean Castex reçoit JeanLouis Bianco, président de cette commission rattachée à Matignon. Face à l’agitation, le Premier ministre décide de ne pas décider – de « laisser reposer la pâte », comme il aime à le dire. Mais ce faisant, il acte que l’exsecrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand ira jusqu’au terme de son mandat, en avril 2021. Cette personnalité du vieux monde mérite quelques considérations, jugeton au sommet de l’Etat.
Le sort de JeanLouis Bianco et du rapporteur général Nicolas Cadène participe de l’emballement autour de l’Observatoire. Le premier a eu ses défenseurs. L’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, désormais président du groupe LREM à l’Assemblée, a longtemps soutenu celui qui fut, comme lui aujourd’hui, élu des AlpesdeHauteProvence. Marlène Schiappa préconise de lui trouver d’abord un point de chute. Au cours d’une réunion entre membres du gouvernement, le ministre de l’Education nationale JeanMichel Blanquer ne dissimule pas que lui ferait preuve de « moins de mansuétude ». Il plaide pour un départ rapide des deux dirigeants. « Sinon c’est moi qui m’en vais ! » plaisantetil en privé.
Nicolas Cadène suscite davantage l’unanimité contre lui. Lors de leur rencontre, Castex a fait remarquer à Bianco que les tweets personnels n’existent pas quand on occupe des responsabilités publiques, visant ainsi le rapporteur général de l’Observatoire. Le gouvernement reproche surtout à celuici d’avoir crédibilisé des associations comme Coexister, dont l’ambiguïté des discours sur la laïcité et sur l’islam a déplu.
En avril 2021, les deux hommes partiront donc. Et l’Observatoire de la laïcité, créé en 2007, aura sans doute vécu. « La marque est mêlée à trop de controverses », dit un ministre. Un bureau de la laïcité verratil alors le jour place Beauvau, comme il existe, depuis 1911, un bureau des cultes né de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ? Doter ce sujet d’une administration propre est l’une des propositions chocs que Marlène Schiappa a présentées à Jean Castex. Elle a chargé l’ancien chef de cabinet de François Hollande à l’Elysée, le préfet Pierre Besnard, de mener une mission pour creuser l’idée. Il doit à la fois réfléchir à la manière de former tous les agents publics à la laïcité (un amendement gouvernemental au projet de loi confortant les principes républicains vise à rendre cette formation obligatoire) et de transformer l’Observatoire. La ministre déléguée plaide aussi pour la création d’un haut conseil à la laïcité, ou pour la fusion de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine antiLGBT, et de l’Observatoire. Enfin elle suggère, pour diriger la structure, la nomination d’une personnalité non médiatique.
Jusqu’à quel point obtiendratelle gain de cause ? Sa proposition d’un bureau de la laïcité ne fait pas consensus : d’après nos informations, JeanMichel Blanquer y est hostile. Le ministre de l’Education suit de près ce sujet, lui qui a installé à ses côtés, en janvier 2018, un « conseil des sages de la laïcité », présidé par Dominique Schnapper et dont est membre un certain… JeanLouis Bianco. Il n’entend pas que ce capital soit dilapidé. De son côté, le président de LREM, Stanislas Guérini, s’invite aussi dans le débat : il préconise la création d’un défenseur du pacte républicain, autorité indépendante qui représenterait un « point de contact pour les citoyens » sur le modèle du défenseur des droits, et souhaite qu’un amendement soit déposé pendant la discussion du projet de loi. Pas si simple ! Des discussions sont en cours entre Matignon, l’Intérieur, le parti et le groupe. La laïcité est déjà une singularité française. C’est bien parti, sembletil, pour que son organisation en soit une autre.