Examens confinés, examens bidonnés ?
Les universités et établissements du supérieur qui organisent les partiels à distance tentent d’anticiper le risque de triche… Avec plus ou moins de succès.
Jeanne*, inscrite en troisième année de droit, a passé ses oraux de janvier à distance, dans une ambiance pesante. « Les profs me demandaient de répondre en fixant la caméra. Quand mes yeux divaguaient un peu, je me faisais vite rappeler à l’ordre », raconte-t-elle. En face-à-face virtuel avec l’examinateur, la tentation est grande pour les candidats, confinés dans leur chambre, de jeter un coup d’oeil sur leurs fiches ou sur leurs cours. « Certains de mes camarades ont trouvé la parade en collant des Post-it tout autour de leur écran », poursuit Jeanne. Depuis le début de la crise sanitaire, les étudiants fraudeurs rivalisent d’ingéniosité. Les taux de réussite inhabituellement élevés, enregistrés dans le supérieur au printemps dernier, ont donné une idée de l’ampleur du phénomène. « Ça nous a servi de leçon. Cette année, toutes les épreuves se déroulent sur place ! » s’exclame ce professeur agrégé du Nord de la France qui, lors du premier confinement, s’était retrouvé avec des copies bien plus brillantes que d’habitude. « Et, bizarrement, truffées de réponses similaires », ironise-t-il. Mais, pour des raisons sanitaires, toutes les écoles et les universités ne peuvent faire revenir les étudiants dans leurs murs. Ainsi, à Sciences po Paris, les promotions sont tenues de composer « en mode confiné ». « Les profs nous envoient l’intitulé du devoir et nous demandent de le réaliser dans un temps imparti mais “à livres ouverts” », explique Florent*, soulagé de pouvoir s’appuyer sur Internet et sur ses documents. Mais, attention, Urkund veille au grain. Toutes les copies passent sous le radar de ce logiciel anti-plagiat censé traquer le moindre copié-collé. « Nos professeurs l’utilisaient déjà avant, mais là, il prend tout son sens », souligne Florent. D’autres établissements ont recours à des outils bien plus perfectionnés encore. Comme ce système de télésurveillance mis au point par TestWe. Lancée il y a cinq ans, cette start-up a vu son activité bondir ces derniers mois. « Bon nombre d’universités et l’essentiel des grandes écoles font appel à nous », confie son PDG Benoît Sillard. Dès le début de l’épreuve, le candidat est tenu d’allumer sa caméra afin que le système vérifie son identité. Puis une photo de lui sera prise toutes les deux ou trois secondes pour s’assurer qu’il est seul et qu’il n’a pas bougé durant toute la durée de l’examen. Une démarche jugée « très intrusive » par Anne Roger, cosecrétaire générale du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup-FSU). « En entrant directement chez les jeunes, on abolit les frontières entre les sphères publique et privée », dénonce-t-elle. Se pose aussi la question de la protection des données. En mai dernier, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a d’ailleurs émis quelques rappels à cet effet. Le manque d’équité fait également partie des risques, car tout le monde n’est pas forcément en mesure de s’isoler dans un endroit calme ou de bénéficier d’une bonne connexion Internet. Enfin, même les technologies les plus poussées comportent des failles. Certains candidats ont trouvé la parade en échangeant, via leurs smartphones, sur des groupes WhatsApp ; en se dotant d’un deuxième écran ; ou en coupant le son de leur ordinateur le temps d’un « appel à un ami »… « Le risque zéro n’existe pas, reconnaît Benoît Sillard. Mais nous sommes en train d’affiner notre offre. » Le recours à des tests composés de questions aléatoires et différentes selon les candidats, ou encore la priorité donnée aux épreuves d’analyse et de synthèse, comptent parmi les pistes privilégiées. Selon Guillaume Gelle, vice-président de la Conférence des présidents d’université, l’adaptation pédagogique constitue le meilleur moyen de contourner la fraude. « Nous misons davantage sur le contrôle continu ou sur les QCM individualisés et limités dans le temps », avance-t-il. Mais Anne Roger de s’interroger : « Cette question de la triche est-elle vraiment une priorité à l’heure où bon nombre d’étudiants, en grande souffrance, sont tentés d’abandonner leurs études ? » Pour son collègue qui enseigne dans le Nord, le sujet est bel et bien primordial car il y va de la crédibilité de ces jeunes sur le marché du travail. « Ce n’est pas leur rendre service que de fermer les yeux. Nous nous devons de rester exigeants et de ne rien laisser passer », insiste-t-il. A bon entendeur…